Poul ANDERSON
LE BÉLIAL'
8,99 €
Critique parue en juillet 2014 dans Bifrost n° 75
Un jour, le Q.I. de toutes les espèces augmente soudain. Les effets sont plus dévastateurs que bénéfiques : les animaux d’élevage s’échappent et se révoltent, les bêtes sauvages déjouent les pièges des chasseurs, la société s’effondre suite aux démissions en masse d’individus changeant de vie pour assouvir leur soif de connaissance et provoquant des pénuries. Les scientifiques, forts de leurs nouvelles capacités, abandonnent des recherches un peu futiles pour s’attaquer à des sujets passionnants mais jusqu’ici hors de portée, telle l’exploration spatiale, un nouveau système de propulsion leur permettant de confirmer la raison de cette brusque augmentation d’intelligence.
Celle-ci serait due à un champ de forces que la Terre traversait depuis le Crétacé et qui aurait ralenti les échanges électromagnétiques, et donc les connexions neuronales. La vérification de cette hypothèse ne va pas sans mal puisque, entrant à nouveau dans le champ, les navigateurs s’en trouvent incapables de piloter leur astronef.
En réaction aux désordres planétaires, une religion antiscientifique célèbre un nouveau culte de Baal. Ailleurs, des communautés se réorganisent, esquissant un semblant de civilisation que tous n’acceptent pas. Plutôt que de s’y rallier, un sim-ple d’esprit, Archie, s’efforce de communiquer avec les animaux et institue avec eux des rapports plus égalitaires : chien, chimpanzé, éléphant, mais aussi faibles d’esprit jadis rejetés par tous, vivent en bonne intelligence sur un territoire délaissé. Ailleurs encore, Sheila, l’épouse de Peter Corinth parti dans l’espace, découvre combien sa vie est vide de sens et tente de revenir à son état originel.
Bien des attitudes étonnent de la part d’esprits désormais plus achevés, mais les réactions malavisées sont essentiellement dues à l’accroissement soudain du Q.I., qui n’a pas laissé à tous le temps de s’y adapter, une intelligence supérieure ne signifiant pas une rationalité accrue, comme l’expliquent en postface Suzanne Robic et Karim Jerbi (on trouvera aussi dans ces pages trois nouvelles traitant du même thème : « Les Arriérés », « Technique de survie » et « Terrien, prends garde ! »).
Anderson multiplie les approches pour décrire l’ensemble des conséquences, sociales et individuelles, par exemple un nouveau mode de communication, plus compact, qui se met en place. La succession rapide de vues d’ensemble et rapprochées, ainsi que le nombre de personnages, nuit à l’efficacité du récit. Mais il s’agit là du coup d’essai d’un jeune auteur qui a tenu à exploiter son univers dans tous ses détails. On le voit très au fait de l’actualité scientifique.
S’il accuse son âge, notamment avec des problématiques en arrière-plan datant de la guerre froide, ce roman reste agréable à lire, surtout quand l’auteur s’attarde sur ses personnages, en particulier Archie dans sa communauté inter-espèces et Shirley, murée dans son désarroi.
[Et aussi : la critique de Jean-Pierre Lion dans le Bifrost n° 72.]