On l’a vu, Ayerdhal a aussi œuvré dans le thriller, Transparences marquant un virage de plus en plus affirmé vers ce genre. Son ultime roman ne déroge pas à cette évolution puisque Bastards joue avec les ressorts de la dénonciation, ici des institutions et de leurs officines secrètes, pour mieux pimenter une intrigue flirtant avec le suspense, le fantastique et les mythes égyptiens.
Tout commence par un auteur en panne d’inspiration qui croit retrouver le goût pour l’écriture en s’intéressant à un fait divers insolite. Une vieille dame vient en effet d’attirer l’attention de la presse new-yorkaise en se débarrassant de trois jeunes agresseurs, avec un sécateur et un chat, d’une manière expéditive que n’aurait pas désavoué un commando des forces spéciales. Et il semblerait que « Cat-Oldie », comme on la surnomme désormais, ne soit pas à son coup d’essai. Si le fait titille la curiosité d’Alexander Byrd, il lui permet surtout, après une rapide enquête, de lier connaissance avec la fameuse vieille dame et sa prolifique descendance, une sororité d’hybrides partageant avec les félins leurs mœurs impitoyables et un solide esprit d’indépendance. Depuis l’époque antédiluvienne des pharaons, cette communauté de créatures chimériques use de ses talents pour la zooanthropie afin de poursuivre sa lutte ancestrale contre des forces occultes malfaisantes.
Mêlant sensualité, suspense et dynamisme, Bastards nous convie à plus de cinq cents pages d’une quête et enquête qui voit un auteur devenir l’épicentre d’un conflit manichéen. Au fil de l’intrigue, Ayerdhal convoque quelques auteurs attachés à New York dont on sent qu’il partage l’imaginaire. Colum McCann, Norman Spinrad, Jerome Charyn et d’autres se retrouvent ainsi entraînés dans les mésaventures d’Alexander et des multiples incarnations félines d’une communauté féminine bien décidée à perpétuer sa vision du monde. Même si ses intentions ne manquent pas de générosité, l’intrigue accuse cependant un sévère manque de rythme, un ventre mou dont on peine à se dépêtrer et où on s’ennuie un peu, en dépit de notre envie d’adhérer au propos. Heureusement, les cent cinquante dernières pages atténuent la déception et l’on renoue avec la tension inhérente au thriller, mais aussi avec ses cliffhangers et poncifs, assistant au dévoilement d’enjeux finalement pas si extraordinaires que cela. Bastet/Sekhmet doit en rigoler encore.
Pour autant, si Bastards ne déçoit pas, ses sautes de rythme et l’aspect parfois bâclé des rebondissements agacent, voire irritent, donnant l’impression que le propos est sacrifié sur l’autel de la facilité, des clins d’œil complices et du divertissement. Dommage.