Laurent Queyssi aime la littérature, surtout les mauvais genres, et les auteurs qui s’y adonnent. Il aime aussi leur consacrer des histoires. Après le roman Trystero publié plus tôt cette année (voir notre critique dans le Bifrost n°115) qui avait pour protagoniste un écrivain produisant un faux manuel d’écriture, mais un vrai manuel de résistance, Big Sur embarque un auteur de mauvais romans d’horreur dans un road trip halluciné à travers les États-Unis, de New York à la Californie.
New York, années 80. Scott Pulver est un écrivain prolifique. Entendez par là qu’il pond du texte à la ligne. Toujours les mêmes histoires, écrites en quinze jours, et payées une misère par sa maison d’édition new-yorkaise Fiction Press. Mais il n’y arrive plus. Alors qu’il vient annoncer à son éditeur son intention d’arrêter, il est le témoin du meurtre de celui-ci par deux malfrats. Une sombre histoire de dette. Désormais pourchassé, il doit précipitamment quitter son appartement, mettre son épouse et son fils à l’abri, et prendre la route. La fuite de Scott, pour autant, n’est pas une errance affolée. Elle a un but et une destination. Il veut écrire un roman, celui qui le ramènera sur le chemin depuis longtemps oublié de la littérature. Sans plus de bagage que sa fidèle machine à écrire sous le bras, il compose, fiévreusement, un manuscrit qu’il compte livrer à Big Sur, une localité de la côte ouest, aux bons soins d’un vieil ami, éditeur à succès. Les choses prennent vite un virage vers le pire. Tout d’abord, il croise le chemin d’une jeune femme en robe jaune et Dr. Martens, qu’il pense avoir déjà vue. Puis, dans une station-service, une horde de zombies lui tombe dessus. La jeune femme pleine de ressource lui sauve la mise. Ce n’est qu’un début. Les monstres qui ont longtemps logé dans son esprit ne vont pas si facilement le laisser leur tourner le dos.
La virée de Scott est pour Laurent Queyssi l’occasion de parcourir une certaine Amérique, dont les bornes kilométriques sont des icônes de la culture et des figures tout droit sorties des paperbacks et du cinéma qui a hanté nos adolescences. Les références abondent dans ce court roman, mais tout cela n’a rien de gratuit. Les pièces du cauchemar lynchéen s’assemblent pour verser dans un acte final où le drame personnel s’impose avec la violence du réel. La destination, Big Sur, est tout aussi symbolique. C’est une fin de parcours, celui de Jack Kerouac, de Henry Miller…
Big Sur est un condensé de l’univers de l’auteur. On y trouve ses goûts littéraires, aussi bien du côté du polar que du fantastique et de l’horreur, mais aussi un aperçu de sa collection de vinyles et de cassettes VHS. Il ne lui restait qu’à donner un sens à ce récit personnel, et c’est ce que Big Sur accomplit. Très court, trop court, une excellente lecture.