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Les critiques de Bifrost

Blanche Neige et les lance-missiles

Catherine DUFOUR
NESTIVEQNEN
240pp - 13,57 €

Critique parue en octobre 2024 dans Bifrost n° 116

[  Ce billet porte sur les livres de la série Quand les dieux buvaient : Blanche Neige et les lances-missiles, L'Ivresse des providers, Merlin l'Ange Chanteur et L'Immortalité moins six minutes ]

Du temps où la Terre était plate comme une pizza, il y avait un Dieu pour gouverner le Ciel, un Diable maître de l’Enfer et un directeur du Purgatoire nommé Azraël, ou Ng’Walaoué pour les intimes. Tout allait pour le mieux, jusqu’au jour où le spectre du petit  Bille  Guette  décida que la mort c’était nul et qu’il devait se venger… en rendant Dieu et Lucifer alcooliques. Et c’est là que le gros bordel commence ! Parce que sans dieu ni maître, les anges et les démons n’en font qu’à leur tête ; parce que Blanche Neige ne siffle pas en travaillant, non, ce qu’elle veut, c’est le POUVOIR ! parce que les autres princesses sont vêtues de loques, qu’elles n’attendent plus leurs princes charmants et finissent par faire leurs petites affaires entre elles. Après tout, les hommes, pour ce que ça sert… et il faut dire que ces dames se débrouillent bien mieux sans eux. Quant aux marraines les bonnes fées, ces noceuses qui vomissent des sermons et ne pensent qu’à les mettre dans le droit chemin, celui qui mène au lit du fameux prince… il ne faut plus leur en parler. Et il y a ceux qu’il ne faut pas déranger, les Gragons Sueux, car sans eux la Terre ne serait pas de niveau. Vous ai-je aussi parlé des graines de saucissons des forêts ? Blanche Neige et les lance-missiles, premier tome de la série, transpire l’hommage au « Disque-monde » de Terry Pratchett, Catherine Dufour y rend grâce à l’humour démesurément absurde des Monty Python et massacre l’illustre souris à grandes oreilles, pour le plus grand plaisir des petites filles qui ne veulent pas péter des paillettes et font leurs prières en croisant les doigts derrière leurs dos. On rigole franchement les cent premières pages, où les clins d’œil animent un dialogue intime et drôle entre le texte et le lecteur. Mais trop de style et de densité dans l’écriture, trop de jeux de mots, trop de digressions, trop de références, trop de dialogues qui dilatent la lecture. Une sensation de longueur qui s’accentue face au trop peu d’action qui s’y passe. Trop de trop ? Le trop serait-il l’ennemi du bien ? Votre servante se le demande encore, car n’est-ce pas l’absurdité en trop qui révèle le mieux l’absurdité de notre propre monde, et fait que l’on savoure l’Apocalypse et le tome suivant…?

Jésus a vaincu Bille Guette et s’est barré avec toute la marmaille magique, laissant la Terre aux hommes. Une Terre ronde. L’Ivresse des providers se veut moins bordélique, à croire que sans Dieu le monde se porte mieux… Que nenni ! Bille Guette a survécu et il faudra toute l’ingéniosité de Cid et ses comparses, des fées rescapées du Grand Exode Chrétin qui vivent dans la débauche au bois de Boulogne, pour en venir à bout. Car depuis, le grand méchant se fait appeler Will Door, et il règne sur Internet. Vous savez, cet empire virtuel où vivent… les morts. Là où Catherine Dufour se contentait, dans le premier tome, d’une relecture joyeuse mais classique des contes de notre enfance pour régler ses propres comptes, ici elle prend les rênes d’un monde numérique que nous pensions connaître et le retourne pour mieux nous faire découvrir son revers magique — et ses dangers. Que faire de nos morts quand il n’y a plus ni Paradis ni Purgatoire ? L’autrice remonte le temps, nous mène à l’époque du début de l’électricité, celle où l’Ankou récupère les âmes de ceux qui sont morts pour les plonger dans un éternel ennui. Mais c’est sans compter sur Évariste Galois, spectre de son état, qui espère bien utiliser le télégramme pour mettre les spectres à « l’abri étincelant de l’électricité ». Si vous voulez savoir quel est le lien entre le Père Noël et l’Ankou, si Blanche Neige va faire son grand retour, si les fées sont de vraies alcooliques nymphomanes, il vous faudra lire ce deuxième tome, mais vite car une armée de Pac-Mans menace les .spectre et .ether qui vivent dans l’Internet. Rangez vos baguettes magiques, elles ne vous seront d’aucune utilité, il n’y a que le Word Wild Web qui pourra vous sauver…

Bon, après tout ça, on peut p’têt faire une pause. Non ? On remonte le temps ? Encore ! Avec Merlin l’ange chanteur, on prend les mêmes ingrédients et on recommence. Sachez seulement que quelques anges ont échappé au Grand Exode Chrétin et que l’un d’eux, l’Archange, n’est pas plus ange que vous et moi. Ce n’est qu’un vulgaire toxico, un accro aux rails de foi pure, celle que les hommes recrachent au moment de leur trépas. De Babylone jusqu’à l’empire du web, en passant par le Moyen Âge et la Quête du Graal, celui qui se fera appeler Merlin sème la terreur. Massacres, maladies, épidémies, ce vampire de la religion ne recule devant rien pour assouvir son manque et se maintenir en vie. Toute ressemblance avec une Histoire existante serait purement fortuite. Ou pas.

Après avoir déplumé le sacro-saint patriarcat, dénoncé les vampires de la religion qui sucent nos âmes depuis des siècles, Catherine Dufour s’attaque à la naissance du plus grand fléau que notre Terre ait connue : l’homme.  Je crois bien qu’il est ici question d’une quête, d’un elfe noir qui a mal tourné, d’un miroir à détruire, de nains, de petits hommes et d’un pays qu’on appelle le Bas-Bords. Toute ressemblance avec une histoire de fantasy existante serait purement fortuite. Ou pas.

« Il y a des femmes bardes, maintenant ? » questionne l’un des protagonistes dans L’Ivresse des providers. Oui, et Catherine Dufour est l’une d’elles. Une barde qui ne célèbre pas l’héroïsme des prétendus plus forts, mais l’ingéniosité des plus faibles, et pourfend la bêtise des hommes, pauvres marionnettes esclaves de leurs croyances diverses. Une barde espiègle au regard grinçant et cynique, noir, souvent, malgré les rires que suscitent ses jeux de mots et répliques fleuries. On le sait, Catherine Dufour n’est pas une autrice au propos gratuit. Les messages sociaux, politiques, anticapitalistes et féministes parcourent son œuvre ; « Quand les dieux buvaient » nous rappelle qu’il en allait ainsi dès ses débuts.

 

 

Aayla SECURA

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