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Les critiques de Bifrost

Bleue

Maja LUNDE
PRESSES DE LA CITÉ
360pp -

Critique parue en janvier 2020 dans Bifrost n° 97

Découverte dans nos contrées avec Une histoire des abeilles, Maja Lunde continue de creuser le sillon de l’introspection écologiste avec la constance d’une autrice s’étant fixée comme projet d’écrire un « Quartet » sur l’écologie. Pas sûr que l’amateur de récit dystopique ne trouve matière ici à entretenir sa passion déviante pour les futurs qui déraillent, a fortiori s’il a lu et apprécié les romans de Jean-Marc Ligny, en particulier Aqua™ et surtout Exodes. Bleue n’entretient pas en effet longtemps l’illusion, l’élément prospectiviste se réduisant rapidement à la portion congrue. L’autrice préfère encore une fois décrire les relations compliquées entre deux groupes familiaux, séparés par presque trente années de gabegie libérale-capitaliste. Trois décades pendant lesquelles le continent européen voit la ressource en eau douce se raréfier, au point d’entraîner l’éclatement communautaire au profit d’un chacun pour soi n’étant pas sans rappeler le raidissement actuel provoqué par les flux migratoires. Dans une double trame, avec un voilier en guise de fil directeur, Maja Lunde s’attache à décrire le baroud d’honneur d’une vieille activiste fatiguée et le drame vécu par un père et sa fille, contraints de s’exiler au Nord pour survivre à la sécheresse. Entre la Norvège et la France, des rives d’un fjord idyllique, en proie à l’exploitation de ses ressources aquifères, aux terres desséchées d’Occitanie, l’autrice décrit par le menu les pensées de ses personnages, s’intéressant à leurs fêlures intimes et aux petits détails de leur quotidien, lâcheté et actes manqués y compris. Deux destins se dessinent ainsi, l’un déjà achevé dont on découvre rétrospectivement le tracé, l’autre en devenir ne demandant qu’à être raconté.

Au regard des enjeux et des thématiques évoquées, l’amateur de science-fiction ne pourra juger que la moisson maigre, tant le futur décrit par Maja Lunde s’apparente à une anticipation légère, guère différente du drame vécu par les réfugiés climatiques dont le malheur ne suscite qu’un intérêt poli dans nos contrées, pour l’instant encore à peu près épargnées par les effets des sécheresses à répétition. Bref, un parfait faux ami ne faisant qu’emprunter son décorum aux littératures de genre pour dérouler un récit intime mêlant drame et fatalisme, sur fond de catastrophe environnementale prévue. Bref, de la dystopie for dummies destinée à un lectorat à la recherche d’une dose modérée de frisson enrobée de psychologie. Passons.

Laurent LELEU

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