Jeune franco-américain fasciné par l’écrivain Carolyn Gerritsen, Julien décide de lui consacrer une étude. Une amitié se noue alors entre cette New-yorkaise riche, assez dure, et le jeune homme qui vient de perdre son père dans les attentats du 11 septembre. Bientôt, Carolyn et son ex-mari, Larry Gordon, un des derniers nababs d’Hollywood, proposent à Julien de s’approcher de leur fils, Ryan, contre rémunération. Ryan est un jeune homme difficile, perturbé. Julien, qui a plaqué sa petite amie (à moins que ce ne soit l’inverse), accepte et se retrouve à Los Angeles, à Blue Jay Way, villa de rêve habitée par Larry Gordon (toujours absent), sa nouvelle femme âgée de vingt-trois ans prénommée Ashley, sans oublier Ryan, évidemment, et sa bande de pénibles potes. S’ensuivront des fêtes improbables (une, surtout). Une liaison. Un meurtre atroce. La routine à Hollywood. Sauf que pour Julien, ce n’est pas la routine : la victime est Ashley et c’est lui qui avait une liaison avec elle…
Quand on fait le bilan des qualités et des défauts de ce premier thriller (?) de Fabrice Colin, les défauts l’emportent haut la main, ce qu’on ne peut que regretter car Blue Jay Way regorge de fulgurances stylistiques, psychologiques, visuelles.
Mais le livre manque cruellement de rythme : il commence avec une piscine de références de deux cents pages dans laquelle on patauge allégrement (références cinématographiques, littéraires, musicales… une vrai mitraille). Puis le meurtre d’Ashley a lieu. On sort la tête de l’eau, pas pour longtemps, car suivent à nouveau cent cinquante pages de semoule. Ce n’est que vers la page 350 que le roman semble démarrer vraiment, malheureusement un envol truffé de scènes auxquelles on ne croit guère (voire pas du tout). La réalité dérape comme chez David Lynch, l’incongru règne comme chez Wes Anderson, mais la machine clopine.
Comédie de mœurs avec des petits morceaux de thriller dedans (comme The Big Lebowski ?), Blue Jay Way se crashe par manque d’alchimie, l’auteur s’intéressant davantage au nombril de son narrateur qu’à son intrigue (et quand je dis nombril, je suis poli, tant le livre regorge de fellations, de sodomies, de sperme sur les lèvres et dans les cheveux de jeunes californicatrices sensibles à la french touch-pipi). Avec son alternance de scènes à la première personne (pleines d’ironie), et de scènes en écriture omnisciente, presque journalistique, qu’on pourrait surnommer « Naissance des monstres », la structure même du livre témoigne de cette mayonnaise pas prise.
On attendait sans doute trop du premier Sonatine de Fabrice Colin. Là où il aurait pu écrire une sorte de The Player post-onze septembre, qui aurait sans doute trouvé sa place chez Flammarion, il se perd dans les terres du thriller californien, avec ficelles usuelles : rapports psy, allusions nazies, sociétés secrètes républicaines (c’est-à-dire d’extrême droite), animaux torturés. La moitié de ces pistes finissant évidemment dans le désert.
D’ailleurs, citer Flammarion à ce stade de cette critique n’est pas totalement dénué de sens, puisque Fabrice Colin s’approche ici de l’œuvre de Michel Houellebecq (name-dropping, histoires de cul drôles à force d’être déplorables, anecdotes du fric roi et de la célébrité reine, le tout saupoudré d’une bonne couche de drogues récréatives et d’ironie acide)… Ne manque que l’humour abject (sans doute ce qui sépare 5 000 ventes de 300 000).
Vous entendez ce bruit agaçant ? C’est James Ellroy qui fait le chien et se marre sous les lettres HOLLYWOOD. La littérature est cruelle : Blue Jay Way est un film ambitieux, mais raté.