Exception faite d’une longue nouvelle dans Bifrost en 2010, voilà 16 ans qu’on était sans nouvelles de John Varley. Les derniers romans de l’écrivain, notamment sa série de pastiches des juveniles de Robert Heinlein, ne semblent pas avoir su séduire les éditeurs français, et il aura donc fallu attendre qu’il revienne à son cycle des « Huit Mondes » pour le relire enfin sous nos latitudes.
Retour donc dans cet univers devenu familier au fil des décennies — sa création remonte aux années 1970 —, un futur dans lequel l’humanité a colonisé le système solaire tout en ayant définitivement renoncé à la Terre, conquise par des aliens peu amènes. Précisons d’emblée qu’il n’est nul besoin d’avoir lu les précédents textes du cycle pour apprécier Blues pour Irontown à sa juste mesure, quand bien même il reprend et prolonge certains fils de l’intrigue de Gens de la Lune. Le roman se présente à première vue comme un pastiche de roman noir. Christopher Bach est un ancien flic devenu détective privé dont l’associé est un chien, Sherlock, un saint-hubert à l’intelligence boostée par des implants. L’arrivée dans son bureau d’une inconnue portant talons hauts, chapeau et voilette, va l’amener à enquêter dans les lieux les moins fréquentables de Luna, et surtout réveiller en lui les souvenirs les plus douloureux de son passé.
Hormis dans le chapitre d’introduction, John Varley ne force jamais le trait parodique de son récit. Les références sont présentes, mais elles apparaissent avant tout pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire une protection que s’est forgée son héros, un monde fictif et confortable dans lequel il a pu se reconstruire après un épisode particulièrement traumatisant. L’enquête elle-même n’est guère plus qu’un jeu de piste devant le conduire in fine en un lieu précis et lui permettre de solder une fois pour toute les comptes avec son passé.
Relativement court, Blues pour Irontown n’a pas la prolixité de ses prédécesseurs, et par là même n’a pas le temps de décrire toute l’exubérance de la société dans laquelle il se situe. Varley choisit de se focaliser sur la relation qui unit Chris et Sherlock, et ce qu’il n’est pas exagéré de qualifier d’histoire d’amour entre un homme et son chien. Et cela fonctionne d’autant mieux qu’il leur confie la parole à tour de rôle, chacun racontant cette enquête de son propre point de vue. Force est de constater qu’il est particulièrement difficile de résister aux charmes de la narration de Sherlock, où il est beaucoup question d’odeurs, de fidélité, de Snacks de Toutou, saveur bacon, de Ouah, Médor ! et de reniflage de croupions. Cette partie du récit fonctionne d’autant mieux que le romancier ne cède jamais à l’anthropomorphisme, mais tente au contraire de rendre le propos de cet animal surdoué dans toute sa singularité.
Moins ambitieux que Gens de la Lune ou Le Système Valentine, Blues pour Irontown est un roman éminemment sympathique, aux personnages attachants et au cadre dont on ne se lasse tellement pas qu’on espère y voir revenir Varley dans les plus brefs délais. Un petit bonheur de lecture des plus précieux.