Après un premier roman convaincant, Jean-Laurent Del Socorro nous revient avec un second titre chez ActuSF, dans la jeune collection « Bad Wolf » dédiée à la fantasy. Il y est question cette fois-ci d’un héros celte, célèbre pour avoir résisté à l’envahisseur romain. Non, non, il ne s’agit pas de Vercingétorix, comme on va le voir.
Selon les historiens Tacite et Dion Cassius, Boudicca (ou Boadicée) est une reine brittonique, souveraine du clan des Icènes. Entrée dans la postérité comme l’instigatrice de la grande révolte bretonne de 60-61, qui a vu les colonies romaines de Camulodunum, Londinium et Verulanium entièrement détruites, elle reste pourtant en grande partie un mystère. Les détails concernant son existence demeurent en effet lacunaires, voire contradictoires. Un fait renforcé par l’absence de tradition écrite chez les peuples celtes. Bref, on ne peut compter que sur des sources ennemies, très partielles et partiales, pour tenter de se faire une idée du personnage. Pas le genre d’argument susceptible d’arrêter la fiction, surtout lorsqu’un auteur se décide à investir le sujet.
Difficile de trouver la moindre créature féerique ou le plus infime sortilège dans Boudicca. Fidèle aux recettes déployées dans son précédent roman, Royaume de vent et de colères, Jean-Laurent Del Socorro investit l’Histoire, ou peut-être devrait-on plutôt dire ici la légende, brossant le portrait d’une femme forte et révoltée, résolue à faire valoir ses droits jusqu’à l’obstination, sincère jusque dans ses emportements et ses passions. La Boudicca de l’auteur français doit sans doute plus à la Lavinia de Ursula Le Guin, du moins dans sa démarche de biographie imaginaire, qu’à la trame succincte fournie par les auteurs romains. De sa naissance, correspondant à la victoire de son père contre les Trinovantes (son prénom voulant dire « triomphe » en langue icène), à sa mort auréolée d’incertitude, en passant par sa jeunesse, son éducation par le druide Prydain, ses premiers pas de reine et d’épouse, Jean-Laurent Del Socorro emprunte beaucoup au légendaire celte. En cela, Boudicca se rattache indéniablement à la fantasy – les amateurs s’amuseront d’ailleurs à dresser des parallèles avec le mythe arthurien.
Si la reconstitution ne manque pas de souffle, la documentation ne bridant à aucun moment l’imagination, Boudicca lorgne toutefois davantage du côté de l’intime, délaissant les aspects épiques et guerriers du roman national britannique. Les combats, les massacres et l’éradication des colonies romaines passent ainsi à l’arrière-plan, laissant la part belle à l’humain incarné ici par la reine icène.
Formidable portrait de femme, Boudicca confirme les promesses esquissées par Royaume de vent et de colères, plaçant Jean-Laurent Del Socorro parmi les auteurs français à suivre. De très près.