Andrew WEINER
FOLIO
400pp - 9,90 €
Critique parue en juillet 2006 dans Bifrost n° 43
On connaissait déjà Andrew Weiner pour son fort recommandable roman En approchant de la fin, et pour son excellent recueil Envahisseurs !, tous deux publiés aux éditions du Bélial' et réédités en poche chez Folio « SF ». C'est d'ailleurs de ce recueil que vient son dernier opus, extension de la nouvelle « Des nouvelles de D-street » en un roman de 390 pages bien tassées, pour un bouquin inédit en français paru directement en poche, ce qui est suffisamment rare pour être souligné — à ce titre, si Pocket nous a proposé deux inédits en mars (cf. critiques in Bifrost n°42), on remarquera qu'en avril, Folio « SF » a fait de même, ce qui nous amène à un total de quatre inédits poches en S-F sur deux mois, ce qu'on n'avait plus vu depuis longtemps…
Tout commence comme un polar hard-boiled school dans la plus pure tradition du genre, façon Dashiell Hammett ou Raymond Chandler. Joe Kay est un privé qui boit plus que de raison. Il se voit chargé par un étrange client, nommé Joe Lazare, de retrouver un cadre des archives municipales. Ça tombe bien, puisque Joe Kay est le spécialiste de la recherche des personnes disparues.
Sauf que nous sommes en pleine S-F. S-F qui apparaît par petites touches successives, au fur et à mesure des doutes qui assaillent le héros et le lecteur au fil de la progression de l'enquête. Tout tient en fait à la ville. Elle semble prise dans une guerre qui dure depuis des lustres, et abrite de nombreuses usines d'armement, bien qu'elle ne soit curieusement jamais bombardée. Certaines choses et personnes paraissent bizarrement floues, et de nombreuses questions de mémoire vont vite rester sans réponse. Des immeubles disparaissent pendant que d'autres apparaissent du jour au lendemain, quand ce ne sont pas des quartiers entiers. En outre, personne ne sort jamais de cette ville située au milieu des terres, et l'on se demande bien comment une artiste peut peindre une plage.
On a donc rapidement l'impression de lire Mon privé enquête dans Dark city. Sauf qu'il y a en fait plusieurs parties dans ce roman, et que la deuxième fait tout basculer.
Elle met en scène un privé nommé Joseph Kaminsky, spécialisé dans la recherche des personnes disparues. Victor Lazare lui demande de retrouver sa femme disparue, Maggie. Ici, point de science-fiction, mais plutôt du pur hard-boiled, avec la femme plantureuse, le client véreux, le détective dépassé par les révélations de son enquête et les manipulations y attenant.
Je vous laisse donc le soin de découvrir la troisième et ultime partie, où Weiner assène avec parcimonie et une incontestable habileté les révélations sur le jeu de miroirs entre les deux enquêtes, sans grande surprise toutefois.
Si les réalités gigognes ne sont pas plus nouvelles (Simulacron 3) que le mélange entre polar et S-F (L'Homme démoli, premier prix Hugo), Andrew Weiner signe au final un roman de bonne tenue. Fort agréable à lire, même s'il ne faut pas s'attendre à quelque chose de totalement renversant, ce Boulevard des disparus se révèle un bel hommage au polar hard-boiled, dont il se rapproche finalement bien plus que de la S-F. Véritable fiction trans-genres, le livre souffre toutefois d'un défaut majeur : avoir été écrit après Dark city. S'il est hors de question de parler d'un quelconque plagiat, c'est quand même un clin d'œil appuyé au film de Proyas. Peut-être un peu trop, d'ailleurs, pour que l'œuvre romanesque soit vraiment originale. On renverra donc le lecteur désireux de découvrir Weiner à ses deux œuvres précédentes disponibles en poche dans la même collection. On en profitera au passage pour recommander cet inédit aux aficionados de Weiner et aux lecteurs occasionnels ou plus réguliers de polars, ainsi qu'aux admirateurs de Proyas.