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Les critiques de Bifrost

Butcher Bird

Richard KADREY
DENOËL
384pp - 23,00 €

Critique parue en juillet 2012 dans Bifrost n° 67

Cela fait si longtemps qu’on n’a plus rien lu de Richard Kadrey qu’on en aurait presque oublié son existence. Non que ses précédents livres parus en France dans la collection « Présence du Futur », Métrophage (1988) et Kamikaze l’amour (1997), soient mauvais, mais ils n’ont pas vraiment marqué le genre non plus. Retour de l’auteur donc, quinze ans plus tard, avec cette fois un roman de fantasy urbaine, appellation à prendre dans son ac-ception la plus contemporaine, celle qu’on rencontre plus volontiers chez Bragelonne ou Milady que chez Denoël.

L’histoire est celle de Spyder Lee, garçon pas particulièrement fréquentable, qui tient un salon de tatouage en compagnie de son amie d’enfance, Loulou Garou, dans l’un des quartiers les plus sinistres de San Francisco. Sa vie bascule un soir de cuite, lorsqu’occupé à vider une vessie malmenée par une consommation immodérée de bière dans l’arrière-cour d’un bar miteux, il est attaqué par un machin grumeleux ressemblant foutrement à un démon. Pas encore dessoulé, Spyder est sauvé in extremis par l’intervention d’une jeune femme aveugle maniant le sabre comme seule une héroïne de films de la Shaw Brothers en serait capable. L’épisode aurait pu être classé sans suites dans la catégorie délirium tremens si, dès le lendemain, Spyder n’avait découvert d’un autre œil l’univers qui l’entoure. Il constate alors que San Francisco est peuplée de créatures monstrueuses aussi diverses que variées, que certains passants se baladent avec un parasite sur le dos, et que même son amie Loulou n’est pas tout à fait celle qu’il a toujours connue. C’est le début d’une aventure qui va le conduire jusqu’en Enfer, en compagnie de Pie-grièche, l’aveugle qui lui est venue en aide.

Dans un genre parfaitement balisé, écrit presque exclusivement par et pour des femmes, Richard Kadrey débarque avec la délicatesse d’un bûcheron aviné en pleine soirée sex-toys. Le cheveu défait et l’hygiène corporelle approximative, il s’amuse ici à insuffler un petit vent d’esprit punk dans l’univers bien rangé et faussement libéré de la fantasy urbaine actuelle. Et il y parvient presque. Grâce à un rythme frénétique, des personnages attachants et des dialogues énergiques et assez souvent drôles, Butcher Bird se lit d’une traite et fait sourire plus d’une fois. Mais si l’on en gratte la surface, on découvre que le roman repose sur pas grand-chose de solide. Et à force de traits d’esprit et de « répliques qui tuent », sa superficialité n’en est que plus apparente au fil des pages. Plus gênant encore, l’écriture de Kadrey s’avère incapable de donner vie aux univers qu’il met en scène. Sa descente aux Enfers est très loin des descriptions dantesques qu’elle tente vainement d’invoquer, et la bataille finale, censée être le clou du spectacle, a des allures d’embuscade fauchée. Bref, si le projet était enthousiasmant, la réalisation laisse à désirer. En tant que pastiche grossier et irrespectueux, Butcher Bird atteint sa cible, parfois jusqu’au jouissif. Mais chaque fois que Kadrey tente d’élever les enjeux de son roman, il se ramasse douloureusement. Ce qui au bout du compte en fait un bouquin plaisant mais anecdotique.

Philippe BOULIER

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