« – Tu crois que c'est vrai, demande Boy, que les Orbitaux manipuleraient les inters comme tout le reste ?
Le Roublard jette un coup d'œil nerveux en direction d'Arkady et hausse les épaules. On ne gagne rien à formuler tout haut ce genre de spéculation.
– Je veux juste savoir pour qui je bosse. Si la résistance souterraine est manip par les Orbitaux, alors on bosse pour les gens qu'on combat, qué no ? »
Câblé est, avec le Neuromancien de William Gibson (J'ai Lu), une œuvre-clef du genre cyberpunk. Et juste avant d'aborder cette réédition à proprement parler, en cette époque de cyber-trucs mis à toutes les sauces, peut-être il pis inutile de se livrer à un petit recentrage de dénomination. Les romans « cyberpunk » sont issus de la prospective, ce « jeu » littéraire consistant à mettre en scène la société de demain. Dans les années quatre-vingt, cela signifie combiner puissance toujours plus étendue des corporations multinationales, la circulation toujours plus grande de l'information et de l'argent sur les réseaux informatiques mondiaux, la marginalisation générale des populations (la faute à une « crise » commencée au début des années soixante-dix), la guerre mondiale délocalisée, les guérillas urbaines, les nouveaux virus (apparition du SlDA/syndrome de Kaposi, début quatre-vingt), les progrès galopants du génie génétique. Le film Blade Runner de Ridley Scott donne en 1982 (deux ans avant Neuromancien) à une génération de nouveaux auteurs une sorte de décor prêt à l'emploi : une jungle urbaine agressive et polluée, peuplée de flics, détectives, marginaux, répliquants / robots / hommes-machines, proies du spleen et de la violence. Notez que Blade Runner opère en fait la fusion entre les visions de Philip K. Dick datant de 1966 et le style visuel foisonnant du réalisateur britannique, fruit de sa propre réflexion sur le futur de la Terre jusque dans ses moindres détails.
L'action de Câblé se situe en 2151, La conquête spatiale a mal tourné pour la Terre, bombardée par les stations orbitales dominées par les trusts. Les États-Unis sont désormais « balkanisées », c'est à dire que les états ont repris leur « indépendance », façon ex-URSS. Tout est importé des stations, parce que moins cher à produire. Les marchandises passant par le goulot d'étranglement des astroports, et tout le monde cherchant à prendre sa part du gâteau au passage, le résultat final est un marché noir bourdonnant d'activité contrôlé de surcroît par les mêmes corporations spatiales toutes puissantes.
Ces dernières n'ayant que faire du pouvoir sur les nations, l╒âtat est livré aux bandes de motards, policiers corrompus et autres mafias, tandis que des hordes de « migrants » errent à travers le pays.
Les héros de Câblé sont, comme il se doit, des marginaux, plus ou moins manipulés par les agents des corporations.
D'un côté Cowboy, le pilote de Panzer — une espèce de tank volant tout terrain conduit grâce à un câblage implanté directement dans le cerveau. Cowboy croit être un résistant à l'Ordre instauré par les corporations orbitales quand il passe clandestinement des médicaments dont les nouveaux maîtres de la Terre ont organisé la pénurie. À présent, son dernier chargement c'est de la drogue synthétisée en orbite qu'Arkady son employeur, ne peut s'être procurée sans passer par une de ces corporations pharmaceutiques que Cowboy déteste. Cowboy étant idéaliste et efficace, il devient vite dangereux. À éliminer.
De l'autre côté, Sarah est une enfant des rues. D'abord prostituée, à l'instar de son petit frère qu'elle couve, elle a investit ses économies dans des prothèses cybernétiques mortelles, comme le cybercobra lové dans sa gorge, capable de perforer la chair et broyer les os. Trafiquante de drogue mais surtout mercenaire, elle est recrutée par un certain Cunningham pour pirater des informations et assassiner un cadre d'une compagnie rivale. Une fois le travail accompli, le dit Cunningham tente de la faire supprimer, alors que Sarah ne rêve que de se vendre pour obtenir les billets qui lui permettront de monter au paradis orbital, elle et son frère.
Guérilla par ici, cavale et traîtrise à répétition par là, jalonnées de formidables morceaux d'anthologies telles les virées de Cowboy à travers les vastes espaces des étendues sauvages américaines sous les feux conjugués de ses poursuivants, ou les très mortels corps à corps de Sarah. Cerise sur le gâteau des cybermaniaques, le massacre inopiné d'un allié de Cowboy (Reno) en fait une personnalité virtuelle, bien pratique pour résoudre un certain nombre d'obstacles dramatiques, rapidement et facilement. Plus douteux est le manque de flair de Sarah qui, au lieu de disparaître et changer d'identité au plus vite une fois son job accompli, s'amuse à servir de cible à ses ex-employeurs. Certes on peut admettre que le fardeau constitué par son jeune frère limite ses possibilités de replis. Mais qu'est-ce qui empêchait ses ennemis de prendre en otage le dit frère pendant tout ce temps ? En conclusion un roman spectaculaire, aux hypothèses futuristes bien posées mais aux solutions plutôt simplistes (« Sponk-sponksponk » « Kawham-Kawham! »)
Enfin sachez que l'univers de Câblé (Hardwired) a été adapté en 1989 pour le jeu de rôle Cyberpunk (Talsorian Games). L'industrie du JdR de l'époque se passionne alors pour la Fantasy Donjonnesque (comme depuis sa naissance). Tandis que les univers génériques/fourre-tout (Gurps) se multiplient, l'éditeur FASA sortira la même année Shadowrun, ou le croisement improbable mais réussi de Cyberpunk avec Donjons & Dragons (avec aux commandes Robert (BoB) N. Charette, co-créateur des mythiques Bushido et Chivalry & Sorcery de l'éditeur pionnier FGU, et que l’on retrouve auteur de romans sous franchises traduits chez Fleuve Noir, comme Shadowrun et Battletech).