Agustina BAZTERRICA
FLAMMARION
304pp - 19,00 €
Critique parue en janvier 2020 dans Bifrost n° 97
Futur proche. Un virus a rendu la totalité des animaux de la planète impropres à la consommation – enfin, du moins les mammifères, à l’exception notable de l’espèce humaine. Puisqu’il n’est plus possible de manger de la viande « normale » et qu’il n’est pas question de virer végétarien, la « viande spéciale » a été mise au point : ils ont deux bras, deux jambes, une tête et, non, il ne faudrait surtout pas les considérer comme des humains. Ce serait leur donner une identité alors que ce sont des produits, des têtes de bétail, élevées pour fournir au reste de l’humanité son quota de viande rouge. Bref, résultat d’une intense campagne de communication, le cannibalisme est devenu acceptable. Et c’est ainsi que Marco s’est retrouvé à travailler dans un abattoir. Il tâche de bien faire son boulot, de veiller à ce que le traitement des produits se déroule au mieux, et c’est la raison pour laquelle il est un jour gratifié d’une tête de bétail spécial, une femelle, pour sa consommation personnelle. En ce futur troublé, être surpris à jouer avec sa nourriture est puni de la peine capitale. Néanmoins, Marco est attiré par cette femelle et, bien vite, va commettre l’impensable : la traiter comme une semblable.
On le sait depuis longtemps, l’homme est un loup pour l’homme, qui n’hésitera pas à manger la chair des siens, par rituel, pour le plaisir (façon Comte Zaroff ou Hannibal Lecter) ou par sombre nécessité (Soleil vert). Ici, c’est par nécessité. Du moins, si les gouvernements de ce monde futur disent vrai et s’il ne s’agit pas d’un nouveau stade ultime d’un capitalisme proprement anthropophage – l’humain se tournant vers soi-même après avoir asservi le reste du règne animal.
Si Agustina Bazterrica entend prouver par le présent roman que le spécisme, c’est le mal, alors l’autrice argentine aurait pu trouver moyen plus subtil de délivrer son message. Marco, personnage étique (et quasiment anonyme : on apprend tardivement son nom), est déplacé au fil d’une intrigue anémiée pour montrer au lecteur toutes les façons auxquelles le produit humain est accommodé, entre exploitants cruels, charognards ou types faisant simplement leur boulot. Certaines séquences font leur effet (la visite guidée de l’abattoir, proche de l’insoutenable), mais l’ensemble suscite l’ennui, et l’incrédulité peine parfois à être suspendue. Autant lire un pamphlet antispéciste, ça coûte moins cher et c’est plus efficace.