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Les critiques de Bifrost

Cailloux dans le ciel

Cailloux dans le ciel

Isaac ASIMOV
J'AI LU

Bifrost n° 66

Critique parue en avril 2012 dans Bifrost n° 66

Joseph Schwartz est un homme en tous points médiocre. Ancien tailleur à la retraite, il mène une existence on ne peut plus banale dans la banlieue de Chicago. Jusqu’au jour où, suite à un incident dans un laboratoire voisin, il se retrouve subitement propulsé dans un autre monde. Un monde qui pourrait se trouver quelque part à l’autre bout de la galaxie, tant il est différent de celui qu’il connait, mais qui n’est autre que la Terre, quelques dizaines de milliers d’années dans le futur.

En 1950, Isaac Asimov a déjà dix ans de carrière derrière lui et une quarantaine de nouvelles publiées, dont celles qui constitueront les premiers volets des cycles des Robots et de Fondation. Mais Cailloux dans le ciel est l’œuvre d’un romancier débutant, et le résultat s’en ressent. Asimov a toutes les peines du monde à donner du rythme à son récit et à accrocher son lecteur. La faute à un personnage principal falot, qui se laisse bringuebaler par les évènements, à une intrigue mollassonne, qui reste longtemps sans ligne directrice claire — les enjeux dramatiques de cette histoire ne sont révélés que bien trop tard — et à une action dont le lecteur ne découvre la progression qu’indirectement, à travers les dialogues entre les différents protagonistes. Ce dernier point demeure toutefois celui que l’auteur maitrise le mieux, les échanges étant le plus souvent vifs et adroits.

Malgré ses indéniables carences formelles, Cailloux dans le ciel possède pourtant certaines qualités. L’un des éléments les plus intéressants du roman est la description que fait Asimov de cette Terre d’un avenir lointain. Perdue au sein d’un empire galactique regroupant deux cent millions de mondes, c’est une planète arriérée, en grande partie inhabitable à cause de son fort taux de radioactivité, et dont les habitants sont en butte à un racisme particulièrement virulent. « Pour moi, le seul bon Terrien, c’est le Terrien mort. Et même alors, en général, ils puent. » Un monde méprisé, certes, mais aussi, comme on le découvre au fil du récit, un monde méprisable. L’arrogance des Terriens, en constante rébellion contre les autorités impériales, n’a d’égale que la barbarie de leurs mœurs, dont la manifestation la plus spectaculaire est l’euthanasie pratiquée de manière systématique à l’encontre des vieillards et, plus généralement, de toute personne jugée improductive. Dans ces conditions, on ne s’étonnera guère que l’ensemble de la population galactique refuse d’envisager un seul instant que la Terre puisse être le berceau historique de l’humanité.

Adoptant le point de vue du modeste Joseph Schwartz, Isaac Asimov donne à voir une situation moins simple qu’il ne paraît de prime abord, dénonçant avec la même sévérité les préjugés des uns et l’obscurantisme des autres, et abordant les thèmes du nationalisme, de la discrimination ou du terrorisme. Le roman gagne beaucoup en intérêt dans ses derniers chapitres, lorsqu’est révélé un complot dont les conséquences, à l’échelle galactique, pourraient se révéler dramatiques. Les différents personnages montrent alors leur véritable visage, et les motivations des différentes factions qui s’affrontent laissent deviner toute la complexité des rapports de force au sein de cet univers.

Si le roman s’inscrit dans la même histoire du futur que Fondation, quelques millénaires en amont, Cailloux dans le ciel n’entretient toutefois que de lointains rapports avec cette œuvre — son principal point commun étant la place centrale qu’occupe Trantor au sein de l’empire galactique qui y est décrit — et sera ensuite réuni avec deux autres romans de l’auteur, Tyrann / Poussière d’étoiles et Les Courants de l’espace, pour former le Cycle de l’Empire. Un cycle en marge des œuvres les plus fameuses d’Asimov, mais qui lui permit d’aborder différentes périodes historiques de cette civilisation, de son essor à son apogée. Cailloux dans le ciel, premier roman de l’auteur, apparait comme une tentative initiale en bonne partie ratée, mais pas totalement dénuée d’intérêt.

Philippe BOULIER

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