Martin Winckler a su se tailler une place enviable parmi la nouvelle génération d’écrivains de littérature générale ; il a obtenu une certaine reconnaissance. Mais, et c’est ce qui nous intéresse ici au premier chef, il ose aussi aborder les mauvais genres. Il est vrai que l’ostracisme, notamment à l’égard du polar, n’est plus ce qu’il était. À défaut d’être brisé, le tabou s’est fissuré. S-F et fantasy restent encore à l’index. Il n’y a pas si longtemps, à propos du dernier roman de Michel Houellebecq, certains abrutis prétendument intellectuels du genre à l’esprit en chas d’aiguille considéraient le recours à la science-fiction comme le signe indubitable que l’écrivain était sec ! Néanmoins, c’est à des gens comme Winckler ou Houellebecq que la littérature doit un certain élargissement de son spectre sans que ces auteurs se retrouvent dans le ghetto… Ici, le polar est mâtiné d’un zeste de science-fiction. C’est presque abusif de le formuler de la sorte car il n’y a pas, à proprement parler, de science-fiction dans Camisoles, mais ce roman en véhicule tout l’esprit. Il y est question de crypto technique. Ça n’a rien de nouveau ; tout particulièrement dans le domaine de prédilection de Martin Winckler, médecin dans la vraie vie. Winckler s’inscrit donc dans une lignée déjà riche d’œuvres et d’auteurs dénonçant de possibles dérives fascisantes de la médecine lorsqu’elle se mêle de politique. Etant un facteur majeur de l’évolution sociale contemporaine, un rappel à l’éthique n’est peut-être pas superflu.
En 2008, à Tourmens — une grande ville de la province française qui rappelle la « Lormont » de Robert Deleuse comme fiction permettant de ménager les susceptibilités — le juge d’instruction homosexuel (ça ne sert pas à faire avancer le schmilblick) Jean Watteau est chargé d’enquêter sur la mort de son ex-amant Henry d’Artigues, abattu d’une balle dans le ventre, et sur celle du Dr Yann Derec qui s’est la même nuit suicidé de deux balles de calibres différents dans la tête. Madame Madeleine Derec est bien sûr suspectée, d’autant plus que le Dr Wallace, toubib de la famille, la charge de son mieux…
En parallèle, le Dr Charly Lhombre est invité à collaborer avec son ex-maîtresse, Dominique Damati, dans un centre psychiatrique des plus discret, géré par la société pharmaceutique WoPharma. L’établissement est structuré en deux parties : le Village, où l’on traite selon des méthodes expérimentales des délinquants difficiles, et le Château, où ce sont des médecins à problèmes que l’on « soigne » avec toute la discrétion voulue. Et bientôt, une journaliste qui s’est introduite dans la place afin d’enquêter est retrouvée étrangement brûlée vive. Charly Lhombre, ex-légiste, et Dominique Damati, qui nourrissent des soupçons d’homicide et entendent voir la police se saisir de l’affaire, se retrouvent internés au Village (rien à voir avec Le Prisonnier).
Claude de Lermignat, mère du juge Watteau, s’embarque elle aussi dans une drôle d’affaire : la disparition de Jannie Le Guen, présentatrice-vedette de l’émission de télé-réalité locale, dont elle a perçu la liaison avec la psychiatre consultante de l’émission, le Dr Luce Garry, qui fait également partie de l’équipe médicale du Château. Pour éclaircir cette sombre affaire, elle se fait aider de son vieil ami, Raoul D’Andrésy…
Cette dernière enquête, sans lien réel avec les autres, fait figure de pièce rapportée. C’est une comédie de gentleman détective comme on en fait plus qui, sans raison, vient se greffer sur une intrigue plus noire et en prise sur le monde contemporain. C’était manifestement l’occasion pour l’auteur de glisser quelques réflexions sur ce qu’il pense de la télé-réalité, mais, hormis le croisement de personnages, c’est un autre livre.
Le reste se tient par contre, même si l’intrigue n’est pas la force première de ce roman. Winckler recourt au procédé des coupures de presse et autres « communications » pour créer le fond social de son histoire. Histoire qui a pour but d’alerter sur les possibles, voire probables, dérives qu’engendre la collusion du politique et du médical et une tendance forte à « psychiatriser » ce qui, en fin de compte, est du ressort de la morale.
Camisoles est donc une bonne raison de joindre l’utile à l’agréable, de prendre plaisir à une réflexion salutaire dont il serait dommage de se priver.