585 av. J.-C, Babylone. Sarban ne fait pas respecter la Loi, non : il l’incarne tel un Josh Randall en robe indigo, celle portée par l’Ordre des Accusateurs. Oublieux de ses désirs et rancœurs personnelles, Sarban exprime la volonté intangible du législateur inscrite pour l’éternité dans la pierre par Hammurabi, rendant ainsi justice aux hommes, sous le regard attentif et silencieux des dieux. Mais les augures sont formels. Le dieu Marduk doit se reposer, laissant libre cours au désordre que ne manquera pas de déchaîner son aînée Tiamat, la déesse du chaos primordial. Le temps va s’interrompre et la Loi s’effacer. Les Accusateurs vont suspendre leur sacerdoce et devenir les spectateurs de la fin du monde, avec pour ultime consigne de défendre leur vie et de protéger les temples contre les exactions de citoyens livrés à eux-mêmes. Rien ne doit en effet gêner le repos de Marduk. Rien ne doit nuire à l’éventuel rétablissement de sa Loi, quitte à laisser le reste de Babylone sombrer dans le meurtre, le viol, le pillage et d’autres actes de cruauté innommables. Et pourtant, Sarban va commettre l’impensable. Pour résoudre un crime prémédité auquel il a assisté, il va sonder les abîmes de l’âme humaine, accomplissant un périple de l’En-Bas vers l’En-Haut. Pas sûr qu’il en sorte indemne.
Nouveau packaging pour la réédition de Car je suis légion, sans aucun doute l’un des points d’orgue (de barbarie) de l’œuvre de Xavier Mauméjean. Une réédition bienvenue dont on ne peut que louer Mnémos, son éditeur historique. Roman apocalyptique, au sens littéral du terme, Car je suis légion joue avec des motifs issus de la culture mésopotamienne. Xavier Mauméjean nous immerge dans le berceau de la civilisation, dans ce pays de l’entre-deux-fleuves, contrée millénaire où bien des mythes ont infusé jusqu’à nous, inspirant notamment une bonne partie du légendaire judéo-chrétien. Fresque historique babylonienne, Car je suis légion emprunte également beaucoup de ses traits à la forme classique du cinéma américain. Western, péplum et film noir sont convoqués pour animer une intrigue fertile en clins d’œil et morceaux de bravoure. On croise ainsi sept mercenaires, un tantinet salopards, mais aussi la figure archétypale du détective hard-boiled, guère embarrassé par ses états d’âme lorsqu’il s’agit de rétablir un tort. Xavier Mauméjean mêle le vrai et le faux pour accoucher d’un effet de réel convaincant, où l’humain se confronte à l’effacement des règles et des conventions sociales. Dépouillé de son vernis de civilisation, il ne lui reste plus qu’à laisser s’exprimer sa nature. Sur ce point, l’auteur ne se montre ni optimiste ni pessimiste. Il se contente juste de dévoiler la propension de l’homme à faire le bien ou le mal, bref à s’adapter aux circonstances et à ses passions.
Entre ziggourats vertigineuses et jardins suspendus, Car je suis légion nous invite à un voyage brutal sans concession aux origines de la civilisation, mais aussi aux tréfonds de l’esprit humain. Un périple historique et métaphysique dont il serait regrettable de se passer.