Terry PRATCHETT
L'ATALANTE
416pp - 19,90 €
Critique parue en octobre 2004 dans Bifrost n° 36
[Chronique commune aux Tribulations d'un mage en aurient et à Carpe Jugulum.]
Il y a bien longtemps que nous n'avions pas critiqué un opus du « Disque-Monde », la dernière fois c'était dans le numéro 8 avec un papier sur l'excellent Le Faucheur (Annales du Disque-Monde T.11), ce qui ne nous rajeunit pas… Profitons donc de la sortie récente de Carpe Jugulum chez l'Atalante pour revenir sur l'un des meilleurs « Disque-Monde » traduit ces dernières années, Les Tribulations d'un mage en aurient — opus qui sera réédité en février prochain chez Pocket, à pas cher, donc.
En Chine, sur notre chère bonne vieille planète Terre, on entend parfois la malédiction suivante : « Puisses-tu vivre des moments passionnants ». Dans l'empire agatéen du Disque-Monde, cette même malédiction existe elle aussi, mais il y a plus : une grande muraille, des samouraïs, un empereur à l'article de la mort, cinq familles qui se préparent à prendre la place du vieux souverain, des complots (avec ou sans poison), des légendes au sujet d'un grand mage et d'une armée rouge… Parmi les cinq familles comploteuses et citées infra se trouve le seigneur Hong, qui fait tout à la perfection jusqu'à ce que l'idée lui vienne d'inviter Rincevent à participer à sa conspiration d'une fort grande originalité : « je veux être empereur à la place de l'empereur ». Erreur fatale ; là où Rincevent passe, le Bagage suit, les ennuis arrivent en avance et les catastrophes tombent du ciel, dans la soupe et les culottes, comme des abeilles traitées au Gaucho !
Pour ce 17e opus des Annales du Disque-Monde, tous les héros ou presque de la trilogie fondatrice (La Huitième couleur, Le Huitième sortilège et La Huitième fille) sont de retour : Rincevent et Deuxfleurs (le maje et le touriste), le Bagage mangeur de requins, Cohen le barbare (le seul barbare connu faisant moins d'un mètre cinquante), LA MORT (certifiée chromosomes XY, attention à ce que vous dites…) et les autres archétypes incarnés. Tout ça est fort réjouissant, souvent drôle, parfois hilarant. On regrettera, comme toujours chez Pratchett, des scènes un peu confuses, des ellipses assez mal maîtrisées, mais ne boudons pas notre plaisir, ce « Disque-Monde » est un grand cru, surtout pour ceux que l'Extrême-Orient passionne.
Avec Carpe Jugulum (ce qui doit vouloir dire « cueille la gorge » si mon latin ne me trahit pas !), 24e volume des Annales du Disque-Monde et dernier opus de la série paru par chez nous 1, Terry Pratchett s'intéresse aux vampires, les confrontant à ses récurrentes sorcières post-shakespeariennes : Mémé Ciredutemps, Nounou Ogg et Agnès Créttine. Si le récit situé dans le pays de Lancre met plus de cinquante pages à démarrer (début fastidieux qui rappelle celui, tout aussi fastidieux, des Zinzins d'Olive-Oued), après c'est du tout bon, ou presque : les vampires et surtout leur serviteur Igor sont à mourir de rire, l'hommage au Bal des Vampires de Polanski (lui aussi fasciné par Shakespeare, il n'y a qu'à voir son sanglant Macbeth) est permanent, et la lutte vampires progressistes (qui s'essayent au vin rouge) contre sorcières irascibles sur fond de monarchie miteuse se révèle délicieuse.
Outre le début fastidieux de Carpe Jugulum, une autre ombre vient noircir le tableau de cette lecture qui devrait être totalement réjouissante : celle de la traduction, qui visiblement aurait mérité d'être travaillée avec un peu plus d'énergie. Si elle est dans l'ensemble excellente sur Les Tribulations d'un mage en aurient (juste quelques pétouilles ça et là), elle est en revanche particulièrement peu inspirée sur Carpe Jugulum où nombre de phrases sont écrites dans un français approximatif ou lourdingue (surtout quand intervient Nounou Ogg). Ça fait des années que l'on m'explique que Terry Pratchett est très mal traduit selon les uns, très bien selon les autres ; n'ayant jamais eu les bouquins anglais sous la main, je ne peux vérifier de telles assertions, mais une chose est sûre, si Carpe Jugulum est très bien traduit, alors c'est que monsieur Pratchett l'a écrit avec un balai (de sorcière, cela va sans dire).