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Les critiques de Bifrost

Ce qui se dit par la montagne

Premee MOHAMED
L'ATALANTE
160pp - 12,50 €

Critique parue en juillet 2025 dans Bifrost n° 119

L’histoire est connue : une succession de crises, amplifiées par la mystérieuse pandémie fongique du cadastrulamyces, a précipité l’effondrement de la civilisation en anéantissant la majeure partie de l’humanité. Les plus chanceux (les plus friqués) se sont réfugiés dans les dômes, environnements clos et confinés où ils tentent, une génération après l’autre, de maintenir intact le savoir humain et de perpétuer les différentes formes du vivant. À des fins scientifiques, ils admettent parfois dans leurs sanctuaires des membres des communautés extérieures, c’est-à-dire issus d’un monde rendu à son hostilité primordiale, là où le temps de cerveau disponible est exclusivement consacré à essayer de ne pas mourir de faim.

C’est une telle invitation que recevait la jeune Reid dans La Migration annuelle des nuages (critiqué dans notre n° 118). Dans cette suite, la voilà désormais parvenue à l’université Howse, terme de son périple. Le récit relate son intégration progressive (et difficile) au microcosme formé par ces universitaires condescendants et cloîtrés dans leurs bibliothèques aseptisées, qui ne voient d’abord en elle — comme dans tous les autres étudiants de l’extérieur — qu’un être inculte et sauvage. D’abord reconnaissante et vaguement soumise, Reid finit par endosser le costume d’agitatrice à mesure que l’université livre ses secrets. Car les dômes, loin d’être le lieu de l’émancipation qu’elle imaginait, sont à la fois un bunker et une prison. Pour les corps comme les idées. Si cette société élitiste n’a rien oublié du savoir de sa devancière, elle a choisi de le garder pour elle-même plutôt que de le partager avec les autres communautés, dans une perspective plus ou moins lointaine de reconstruction.

Porté par la combativité et le désir de futur de son héroïne, le récit examine dès lors les conditions d’émergence d’un nouveau pacte social, dans lequel le savoir ne serait plus un privilège mais un bien commun. En filigrane de la trajectoire de Reid, se dessine donc le portrait d’un monde marqué par les inégalités qui ressemble singulièrement au nôtre.

Cette charge idéologique ne sacrifie en rien au plaisir du conte. Premee Mohamed s’y entend pour déployer des images fortes et maintenir un rythme soutenu. Le format court de l’ouvrage, conjugué à sa richesse thématique, lui confère par ailleurs une rare densité. Si elle ne renouvelle pas vraiment le genre du post-apo, ni dans les idées ni dans la représentation, cette série en constitue une intéressante synthèse et confirme le potentiel de l’autrice dont on suivra avec curiosité les prochaines parutions.

 

Sam LERMITE

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