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Les critiques de Bifrost

Ceci n'est pas un jeu

Ceci n'est pas un jeu

Walter Jon WILLIAMS
L'ATALANTE
416pp - 22,00 €

Bifrost n° 59

Critique parue en juillet 2010 dans Bifrost n° 59

Depuis plus de vingt-cinq ans maintenant, Walter Jon Williams est sans doute l’un des écrivains de science-fiction les plus versatiles, changeant de registre à chaque roman ou presque. Du cyberpunk de Câblé au polar hard science Sept Jours à expier (considéré à peu près unanimement comme son chef-d’œuvre), du space opera post-moderne Aristoi au fourre-tout brillant mais un peu vain qu’était le récent Avaleur de mondes, le romancier ne se répète jamais, abordant les genres comme s’il s’agissait à chaque fois pour lui de nouveaux défis à relever. Dernier en date : le thriller.

Ceci n’est pas un jeu s’inspire des Alternate Reality Games, ou ARG, mélange de jeux de rôle online et grandeur nature. Le cadre d’un tel jeu ne se limite pas au site web qui le gère mais se poursuit dans le monde réel par le biais de coups de téléphone aux participants, courriers ou évènements orga-nisés au quatre coins du monde. Le titre du roman (This is not a game en VO) était le slogan de l’un des premiers jeux de ce type, lancé en 2001 dans le cadre de la promotion du A.I. Intelligence artificielle, le film de Steven Spielberg. C’est également le titre du premier ouvrage qui s’est intéressé en 2005 à cette nouvelle forme de divertissement (This is not a game : a guide to alternate reality gaming de Dave Szulborski).

Dagmar Shaw est l’heureuse conceptrice de tels jeux. En voyage en Indonésie pour superviser la conclusion spectaculaire de sa dernière création, elle se trouve soudain dans une situation périlleuse lorsque le pays connaît une crise financière sans précédent, que les vols de toutes les compagnies aériennes sont annulés et que des émeutes éclatent dans les rues de Jakarta. Retranchée dans sa chambre d’hôtel, elle attend l’arrivée des secours que lui a promis son employeur. En vain. Elle a alors l’idée de faire appel à la communauté des joueurs qui vont mettre leurs ressources à sa disposition, souvent sans bien savoir si son appel à l’aide est réel ou s’il ne s’agit que d’une nouvelle manche de leur jeu favori.

Cette première partie du roman vise essentiellement à présenter aux lecteurs le principe des ARG et la manière dont, consciemment ou non, les actions des joueurs peuvent avoir des conséquences dans le monde réel. Le problème de Dagmar résolu, Walter Jon Williams embraye sur une toute autre histoire qui débute par le meurtre de l’un des vieux amis de la jeune femme. L’enquête de la police ne progressant guère, elle se tourne à nouveau vers la communauté des gamers, quitte à brouiller davantage la frontière séparant la réalité de la fiction.

Ceci n’est pas un jeu est un roman agaçant et assez frustrant. En tant que thriller, il n’est que passablement réussi. Walter Jon Williams a suffisamment de métier pour qu’on ne s’ennuie pas à sa lecture, mais il se sert le plus souvent de grosses ficelles pour faire progresser son intrigue et offre au final assez peu de surprises. Le méchant est puni à la fin, tout rentre dans l’ordre, merci, bonsoir.

Le roman aborde pourtant des thèmes intéressants, à commencer par le fonctionnement des marchés financiers internationaux. Le krach boursier qui frappe l’Indonésie au début du roman n’est que la première manifestation d’un phénomène qui va s’étendre par la suite et menacer de dévaster l’écono-mie mondiale. Difficile d’être plus au faîte de l’actualité. Hélas, plutôt que de démonter les rouages de ce système, Walter Jon Williams n’en tire qu’un vulgaire gadget, manière commode pour ne pas aborder les vraies questions.

Ceci n’est pas un jeu rend compte en permanence de la confusion pouvant exister entre réalité et fiction. Comment des marchés financiers virtuels sont capables d’impacter l’économie réelle et la vie de millions d’individus, comment les joueurs d’ARG parviennent, parfois à leur insu, à faire progresser une enquête criminelle. Mais plutôt que d’explorer en profondeur ces thèmes, révélateurs de ce qu’est devenue la société actuelle, Walter Jon Williams ne fait qu’effleurer son sujet et se contente d’y puiser la matière lui permettant de faire tourner un thriller au final un peu couillon. En guise de réflexion, il se contentera de résumer, par le biais d’un courriel envoyé par l’une des participantes au jeu, l’essentiel des questions que le lecteur s’est posé tout au long du roman.

Ceci n’est pas un jeu aurait pu, aurait dû être un roman important. En l’état, il n’est qu’un thriller ordinaire, lisible et distrayant, sans doute, mais avant tout superficiel et vain. Un beau gâchis.

Philippe BOULIER

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