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Les critiques de Bifrost

Celle qui devint le soleil

Celle qui devint le soleil

Shelley PARKER-CHAN
BRAGELONNE
19,90 €

Bifrost n° 109

Critique parue en janvier 2023 dans Bifrost n° 109

1345. L’empire Chinois est uni sous l’autorité des Yuan, dynastie mongole qui affirme détenir le Mandat du Ciel, un pouvoir divin qui légitime leur souveraineté.

Dans un petit village rongé par la famine, la famille Zhu survit difficilement jusqu’au jour où le devin révèle au fils que ses exploits apporteront l’honneur à sa famille pour cent générations. Tout le contraire de sa sœur dont le sort n’étonne personne : elle ne sera rien. Un après-midi, trois bandits tuent le père, faisant du frère et de la sœur des orphelins. Tandis que le premier se laisse mourir de chagrin, la deuxième décide de vivre, endosse l’identité de son frère et prend sa place de novice au monastère de Wuhuang. La jeune fille, qui doit tout faire pour cacher son identité, suit sans dommage, ou presque, l’enseignement de ses maîtres. Le jour de l’ordination, Ouyang, le général du prince mongol du Henan, interrompt la cérémonie et réclame l’allégeance des moines et leur soutien dans la lutte contre les Turbans Rouges, des dissidents chinois. Face au refus de l’Abbé, Ouyang, met le monastère à feu et à sang, seul(e) survivant(e) du massacre, Zhu décide d’embrasser le destin de son frère. Non, elle ne sera pas rien, et ce quoi qu’il en coûte…

Les passionnés d’histoire se pourlècheront les doigts en tournant chaque page, car Celle qui devint le soleil est une magnifique réécriture de la reconquête chinoise et de l’ascension de la dynastie Ming. Shelley Parker-Chan prend un soin particulier à plonger le lecteur dans cette Chine médiévale fantasmée et violente où s’oppose la misère des moins bien nés à la richesse des conquérants, le « rien » des femmes à la « grandeur » des hommes, le pouvoir divin au désir de survie. Un travail historique incroyable qui participe au réalisme la démonstration de l’autrice : et si l’Empereur fondateur de la dynastie Ming avait été une femme ? Une femme qui aurait dû masquer ses attributs ; une femme qui aurait dû voler le nom d’un homme et oublier le sien ; une femme qui aurait dû se faire homme pour atteindre la fonction suprême. Parker-Chan tricote l’ascension d’une moins que « rien » qui s’approprie le destin d’un frère lâche, et qui fait de sa transgénéité une force. Le choix du nom comme acte de métamorphose, métamorphose qui sied bien à l’héroïne qui se construit, alliant le pouvoir que lui confère son nouveau sexe à sa sensibilité féminine, pour résoudre les conflits d’une façon fine et sensuelle dont son frère aurait bien été dépourvu.

Et la fantasy dans tout ça ? L’apparition de fantômes et la manipulation du feu par quelques protagonistes restent plus qu’anecdotique. Car si le contexte historique est des plus intéressants, on guette les éléments qui feront basculer la fiction historique vers la fantasy. Quant aux fils narratifs, qui se résument à des manigances politiques, ils finissent par lasser à force de s’enlacer. Il faut atteindre les deux tiers du roman pour voir l’intrigue gagner en nervosité, une nervosité tellement tardive que l’on se demande si la fin ne va pas en être bâclée. Page après page, aucune conclusion ne pointe à l’horizon, jusqu’à la dernière ligne où le client (qui s’est bien fait avoir) comprend que ce roman n’était que le prélude d’un ensemble plus vaste, information que l’éditeur s’est bien gardé de transmettre… Celle qui devint le Soleil, qui s’avère donc le premier tome du diptyque « The Radiant Emperor », est pour résumer une fantasy pâle et décevante, une très bonne fiction historique et une uchronie avec un certain potentiel.

Aayla SECURA

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