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Les critiques de Bifrost

Celle qui sait

Celle qui sait

Laurence SUHNER
L'ATALANTE
560pp - 26,50 €

Bifrost n° 105

Critique parue en janvier 2022 dans Bifrost n° 105

Annoncé comme un diptyque, « Ziusudra » prolonge la trilogie « QuanTika », cochant toutes les cases d’un planet opera mêlant ethno et hard SF. Rien de neuf sous les multiples soleils de la science-fiction, nous direz-vous, y compris jusque dans l’illustration de couverture signée Manchu.

Des tréfonds caverneux de Gemma la glacée, où il avait été enfoui par la civilisation des Bâtisseurs pour préserver l’univers de sa fureur destructrice, le Dévoreur a jailli avec violence, poussant les humains survivants et les Timhkans, extraterrestres à l’origine de l’enfermement du monstre quantique, à s’allier pour enrayer la menace. Avec « Ziu­sudra », on reprend les mêmes ou presque et on recommence. Sur Indiga la bleue, l’hu­manité doit désormais partager la planète avec les Timhkans. Mais les vieux démons ont la peau dure. Militaires, capitalistes, ex-miliciens suprémacistes ne prisent guère cette coexistence pacifique. Ils s’inquiètent surtout des incursions répétées des extraterrestres et affûtent leurs armes. Et, comme souvent, de l’inconnu naissent la peur et la défiance. Dans ces conditions, difficile pour Ambre et sa fille, mais aussi pour Haziel, Maya Stanislas et Kya de trouver leur place dans cette version alternative du système AltaMira, où les apparences sont à la fois si familières et si différentes.

Placé sous le patronage bien­veillant de Richard P. Feynman et de Jorge Luis Borges, Celle qui sait, premier livre du diptyque, s’aventure dans le champ ouvert à la spéculation des univers parallèles, rejouant une partition bien connu de l’amateur de SF. On renoue ainsi avec les ressorts narratifs et thématiques qui ont fait le succès de la trilogie « QuanTika », sacrifiant au passage le caractère inédit du world building. De son attrait manifeste pour les sciences, y compris humaines, dont on perçoit toute l’ampleur dans la seconde partie du roman lorsqu’on se retrouve immergé au cœur de la société Timhkan, Laurence Suhner tire toutefois un récit de xéno-anthropologie stimulant, où se côtoient altérité radicale et sense of wonder. Cet aspect du roman est hélas pré­cédé par une première partie un tantinet lon­guette, où l’autrice prend son temps pour poser des enjeux politiques déjà-vus. On ne peut ainsi se départir du sentiment de lire une variation bâtie autour d’une intrigue passe-partout, où les sentiers n’ont bifurqué que pour servir de prétexte à une débauche de rebondissements visuels. Car dans l’univers parallèle d’Indiga, rien ne diffère finalement du monde de « QuanTika », si ce n’est la position politique et sociale des uns et des autres. Le même destin semble ainsi promis à des personnages réduits à des stéréotypes condamnés à revivre un scénario catastrophe dont ils subissent une nouvelle fois les con­séquences dramatiques.

S’il est encore tôt pour porter un jugement définitif sur ce diptyque, on ne peut s’empêcher d’éprouver quelques craintes. Gar­dons cependant confiance dans la capacité de l’autrice à nous surprendre. C’est le moins que l’on puisse espérer.

Laurent LELEU

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