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Les critiques de Bifrost

Celtika

Celtika

Robert HOLDSTOCK
LE PRÉ AUX CLERCS
430pp - 19,90 €

Bifrost n° 31

Critique parue en juillet 2003 dans Bifrost n° 31

Robert Holdstock avait été remis à l'honneur en 2001 avec l'édition complète, chez Denoël, du cycle de « La Forêt des Mythagos », véritable succès de librairie couronné cette année par le Prix Spécial du Grand Prix de l'Imaginaire. Il nous revient aujourd'hui avec un nouveau cycle, tout aussi prometteur que le précédent : le « Codex Merlin », qui nous replonge dans l'univers des mythes celtes, mais en y mêlant cette fois la culture gréco-romaine.

Merlin, jeune sorcier en quête du Savoir, croise la route de Jason et participe à la quête de la Toison d'Or (ce qu'Homère avait oublié de nous dire…). De retour à Iolcos, il assiste à la mort des deux fils de Jason, que Médée assassine pour se venger de l'infidélité de son mari. Sept cent ans plus tard, notre enchanteur immortel, dont la magie est gravée dans les os, apprend que Jason est englouti avec l'Argo au fond d'un lac, mais qu'il est toujours vivant et que ses lamentations retentissent dans la forêt de Pohjola — qui n'est pas sans évoquer la forêt qui entourait Oak Lodge… Il se décide à venir le libérer et à rechercher ses deux enfants, que leur magicienne de mère est parvenue en réalité à faire survivre au travers du temps. Ainsi débute une nouvelle Quête, au cours de laquelle se croiseront des personnages aussi divers que fascinants : Urtha le chef barbare, Elkavar le joueur de cornemuse (nouvel Orphée…), Ullanna l'Amazone, Rubobostes et son cheval à la force herculéenne, ou encore Niiv la jeune sorcière (une manière de fée Viviane). Une quête qui prendra vite des allures d'odyssée : colères divines, récits d'aventures des personnages, lutte titanesque de deux héros, descente aux Enfers pour y prendre conseil, consultation des augures, passages infranchissables traversés par intervention divine ou ingéniosité et labeur de l'équipage, combat aux Thermopyles, banquets funèbres, mise à sac du sanctuaire delphique… Bref, un vrai petit Homère contemporain : le rêve, quoi !

Contemporain tout de même, parce qu'Holdstock en prend évidemment à son aise avec les mythes qu'il évoque : la disparition d'Hylas au cours de la quête de la Toison d'Or est ainsi réécrite sur un ton très moderne. De même, Jason est présenté comme une victime inspirant la compassion, qui envisageait de proposer le divorce à Médée à son retour (si, si…), alors que le mythe homérique en fait un homme dénué de tout scrupule, répudiant et exilant celle qui lui a tout sacrifié. On apprend même, dans le domaine celtique cette fois, que le chef Urtha est un ancêtre éloigné du roi Arthur ! Et pour clore le tout, on parvient à avoir une histoire d'amours adolescentes entre Merlin et Médée. Bref, c'est le mélange total des mythologies et des cultures, et la sauce prend merveilleusement. Le bateau sur lequel s'effectue le début de la Quête, l'Argo, est un parfait symbole de cette philosophie : englouti plusieurs siècles au fond du lac, le bateau est « mort ». Son âme, celle de la déesse Héra, l'a quitté. Par conséquent, tout en conservant le cœur du navire, le chêne de la forêt de Dodone, c'est à la déesse Mielikki que les voyageurs vont confier leur sécurité sur les flots. L'esprit celte dans la forme grecque : on ne peut rêver meilleure illustration du projet de l'auteur.

L'écriture de Celtika est beaucoup plus légère que celle de certains volumes du cycle des Mythagos, qui confinait parfois à l'hermétisme. Ici, l'humour n'est jamais très loin, le récit est fluide et le suspense parfaitement maintenu. Mieux encore, l'univers élaboré est d'une impressionnante cohérence, compte tenu du mélange culturel et historique qui s'y fait : on se laisse porter par la narration, au point qu'il faut parfois aller vérifier dans les ouvrages de référence pour savoir si tel ou tel épisode est le fait de l'auteur ou une donnée mythologique. Si vous voulez, on a l'impression d'être entré dans la forêt des mythagos, et de voir les mythes y vivre leur vie. On ne dira rien de plus sur la richesse culturelle du texte : on est Robert Holdstock ou on ne l'est pas, c'est tout. Et quand on s'appelle Holdstock, on se permet même de clore son roman sur un résumé du suivant, rien que pour faire baver son lecteur…

Ne reste donc qu'une chose à faire : l'emplette de ce roman, qui trouvera tout naturellement place, dans votre « bibliothèque idéale », aux côtés du cycle de « La Forêt des Mythagos ». En attendant la parution en français de The Iron Grail.

Sylvie BURIGANA

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