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Les critiques de Bifrost

Cent-vingt

Cent-vingt

Léo HENRY
LA VOLTE
912pp - 28,00 €

Bifrost n° 113

Critique parue en janvier 2024 dans Bifrost n° 113

Cette année 2023 est décidément l’année Léo Henry : après Héctor, roman basé sur la vie et la disparition de Héctor Germán Oesterheld, scénariste argentin de bandes dessinées, et La Géante et le Naufrageur, premier volet de son cycle « Mil­le Saisons » (cf. nos 110e et 112e livraisons), l’auteur protéiforme revient avec Cent-vingt. Une véritable brique comme il n’en pouvait paraître que chez La Volte, saint patron des projets fous (et on saluera le boulot ici mené par Laure Af­chain, ma­quettiste de l’ouvrage).

Cent-vingt, donc, comme dix fois douze nouvelles, envoyées chaque mois dans la boîte mail d’un petit millier d’abonnés à une newsletter, entre mai 2013 et avril 2023. Dans la 113e nouvelle par email, Léo Henry revient sur ses projets passés et y voit comme cons­tante la nécessité de la contrainte. À ce titre, poster pendant dix ans une nouvelle par mois n’est pas la plus légère des contraintes qui soit.

Des nouvelles, donc ? On trouve en effet dans les pages de Cent-vingt des fictions : des textes liés à Point-du-Jour illustrés par son compère Stéphane Perger, une scène coupée de Hildegarde, un extrait de La Géante et le Naufrageur, un pastiche de Sabrina Calvo, de nombreuses collaborations, notamment dans le cadre de projets collectifs… mais pas seulement. On y lit aussi des textes plus personnels, un hommage à feu Jacques Mucchielli, des enquêtes œuvrant parfois dans le flou de la spéculation (Twin Peaks 90210) ou dans la réalité la moins glamour (« Sazerac »), des trucs plutôt expé­rimentaux, des blagues, un article de Bifrost, des poèmes, pas mal de choses qui n’étaient absolument pas prévues pour une mise en forme papier, comme une page Wikipédia ou une nouvelle lue, une postface de luvan et puis des recettes de cocktails.

Si la régularité des nouvelles par email était une contrainte créative, Léo Henry perçoit aussi l’écriture comme un moyen de marquer le passage du temps. De ce fait, au fil des pages et des dix ans qu’aura duré le projet, on voit les fictions se faire plus rares, la SF aussi, tandis que le ton devient volontiers plus engagé, plus personnel. L’implication de l’auteur et le style, eux, demeurent (même dans un truc aussi couillon que « Jean-Michel la coccinelle »). Tous les textes ne se valent pas, certains vous parleront plus que d’autres, certains demeureront peut-être un rien ab­straits (le cycle « Dans l’IA »), mais il ressort de cet ensemble, véritable terrain de jeu et d’expérimentation, une vivacité et une créativité aussi enthousiasmantes que communicatives. Dans Cent-vingt, ouvrage unique et magistral, le total est supérieur à la somme des parties.

Et si la taille de la brique vous effraie, pas d’inquiétude : qu’on lise ce recueil dans l’ordre des pages (non numérotées !) ou en suivant l’un ou l’autre des nombreux parcours proposés par les pages de sommaire en fin de volume, il se prête volontiers au picorage.

Après Les Cahiers du Labyrinthe en 2003, Le Diable est au piano en 2013 et le présent Cent-vingt en cette année 2023, reste à prendre rendez-vous avec Léo Henry pour 2033. On y sera.

Erwann PERCHOC

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