Cérès et Vesta, deux astéroïdes orbitant entre Mars et Jupiter, abritent des colonies humaines et s’échangent leurs surplus d’exploitation : la roche de l’un contre la glace de l’autre. Le voyage des marchandises, totalement automatisé en longs convois, représente la seule chance de quitter Vesta pour une partie de sa population opprimée. En réparation d’une prétendue spoliation passée, les Vestiens ont en effet levé un impôt spécifique qui touche les Sivadier. Lors de la colonisation de Vesta, ces derniers ont apporté leur expertise technique pendant que les autres corporations assuraient l’installation des premiers habitants. Un mouvement populiste à l’influence croissante estime que cette expertise a permis une appropriation indue des richesses du planétoïde. Ostracisés, les descendants des Sivadier hésitent entre révolte et résignation. Certains s’exilent donc sur Cérès au prix d’un périlleux voyage sur les blocs de matière première. Ces « surfeurs » bénéficient d’un accueil bienveillant, même si l’astéroïde d’accueil s’abstient de toute ingérence politique. Lorsque Vesta somme à Cérès d’interdire l’amarrage d’un vaisseau abritant des dissidents qu’il pourchasse, les autorités portuaires cérésiennes rencontrent un dilemme moralement impossible à résoudre : sauver les centaines de passagers de l’astronef ou les milliers de « surfeurs » en route vers Cérès.
La narration s’articule autour de deux personnages féminins, Camille, médecin et descendante de Sivadier, et Anna, nouvelle directrice du port de Cérès, et joue avec les flashbacks dans les vies de celles-ci sans jamais perdre le lecteur. Greg Egan est surtout connu pour écrire de la hard SF. Pour qui n’est pas familier de son œuvre ou se sent impressionné par cette dernière, Cérès et Vesta constitue une bonne porte d’entrée. La novella, axée sur les sciences sociales (sociologie, politique et éthique), se révèle très abordable. Elle met en lumière la rapide mutation d’une société qui stigmatise une partie de ses individus. Dense par le nombre de thématiques qu’elle aborde, elle ne fournit pas de réponses prêtes à l’emploi et enjoint le lecteur à réfléchir par lui-même. La taxe Sivadier constitue-t-elle la juste réparation d’un préjudice antérieur ou le résultat d’une relecture historique malsaine ? Une nation engagée dans l’accueil des réfugiés politiques peut-elle espérer rester neutre ? Quelle voie choisir quand la seule alternative implique la mort d’êtres humains ? Et jugera-t-on la valeur morale d’une action à l’aune de son intention ou en fonction de ses conséquences ?