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Les critiques de Bifrost

Chaîne autour du soleil

Clifford Donald SIMAK
J'AI LU
288pp - 4,80 €

Critique parue en juin 2001 dans Bifrost n° 22

Ce roman de Simak est à la fois un peu en marge de sa production habituelle par sa thématique et bien dans sa lignée par son atmosphère généreuse. Il comprend deux récits en surimpression.

L'une de ces histoires est l'élaboration d'un background particulier : une société à peine future voit ses systèmes politique, économique et sociétal s'effondrer sous la poussée inexorable de forces inconnues (mais généralement plus que bienfaitrices dans, disons, le recentrage majeur qu'elles provoquent). Celles-ci bouleversent le fonctionnement du monde moderne et les notions traditionnelles de concurrence et d'économie de marché en produisant des biens de consommation révolutionnaires dans leurs effets sur la vie de tous les jours à des prix si follement bas qu'ils entraînent l'effondrement de l'industrie et du capitalisme traditionnels. Et le chômage aussi, bien sûr, mais non la misère et la famine, car ces forces, en l'espèce une « compagnie fantôme » qui déstabilise le commerce, dynamite les règles admises et abdique au moins en apparence toute notion de profit, nourrit, loge et habille ceux qui seraient, sinon, plongés dans l'indigence par la « crise » déclenchée. Et cela, toujours, de façon presque gratuite et, semble-t-il, désintéressée.

Rêve d'anarchie appliquée, utopie admirable ? Voire. Tout n'est certes pas si simple, quoique parfois très sympathique. Il n'empêche, voici donc, événement assez exceptionnel, que Simak réfléchit à contre-courant des idées reçues et, lâchant quelques propositions sur l'économie ultra-libérale et la société qu'elle entraîne presque nécessairement, avance quelques remèdes, ainsi que quelques réflexions fort saines, me semble-t-il. Surtout pour aujourd'hui, en un temps où les résurgences inquiétantes de l'Hydre du capitalisme sauvage sont plus évidentes que jamais un peu partout, sous le couvert rassurant d'un faux libéralisme trompeur.

L'autre histoire est celle de Jay Vickers, qui évolue dans ce décor et cet environnement (quitte à planer au-dessus d'eux en certaines occasions). Écrivain, il est à la recherche de son passé (comme si souvent les êtres le sont chez Simak), de son identité, de la justification de son existence, et surtout d'un univers merveilleux entrevu durant son enfance (celui de l'enfance, peut-être, justement ?) grâce à un jouet aimé. Accessoirement, presque involontairement, cette recherche le conduira à rencontrer ceux qui bouleversent l'ordre établi, économique et social qui semblait immuable. On pourrait les appeler ici les « ingénieurs du cosmos », par facétie littéraire, mais ce sont en fait les « ingénieurs » et accoucheurs d'une société, d'une âme humaine nouvelles… et sans doute meilleures, se prend-on à espérer.

D'accord, Simak ne donne pas là un chef d'œuvre incontestable pour la complexité et les labyrinthes de l'intrigue, ni un de ses tout meilleurs livres pour l'étude des personnages et cet étrange sentiment de familiarité dans l'émerveillement qu'il sait nous faire éprouver devant l'Autre comme dans Au carrefour des étoiles et Demain les chiens. Néanmoins, l'audace des idées, surtout à l'époque et dans le genre, et la manière subtile et variée dont il les amène et les développe (ici, contrairement à bien des utopies, il n'est pas question de régler les problèmes sans consulter les gens concernés), laissent encore aujourd'hui admiratif. Parmi les concepts semés presque au fil de la plume, on trouve même une préfiguration (la première ?) des jeux de rôles et de la réalité virtuelle, avec ces clubs d'« irréalistes » attachés à vivre dans ses moindres détails une époque révolue… Et que dire de la façon dont il traite le thème rebattu de la quête d'identité du protagoniste, sur un mode apaisé, presque souriant (loin, très loin de l'angoisse obscure d'un van Vogt et de la paranoïa ontologique d'un Dick), et selon une démarche alliant une robuste curiosité au désir de connaissance, de compréhension ? Le mystère, qui intrigue, ravit, stimule le personnage, ne l'effraie donc nullement.

Au cours de cette élucidation du monde et de soi, vécue dans l'émerveillement et l'humilité face à l'univers et à ses myriades d'habitants, humains ou pas, tant les plus proches que les plus lointains ou « différents », de cette ode à la fraternité, à la compassion et à la compréhension dans l'altérité partagée, naît une poésie tranquille, célébrant l'amour de l'Homme, de l'Autre, de la Nature, mais aussi de la Science (rimant ici avec Conscience, bien sûr) et de la Connaissance au sens large. Une poésie qui éclate en une pyrotechnie lente aux couleurs automnales, laquelle dépeint un tableau calme, serein, et ceci sans faiblesse, sans mièvrerie, ni nombrilisme, ni conservatisme. Une poésie portée par des personnages attachants, une fois encore, et comme si souvent chez l'auteur.

C'est là le roman, presque provoquant par endroits, d'un superbe conteur. Simak est l'ami, l'oncle, le sage grand-père fin connaisseur d'histoires passionnantes dont nous avons tous, un jour, recherché la compagnie. Chez lui, la mémoire n'est pas immobilisme ou ressassement, mais un refuge temporaire, confortable, nostalgique parfois, qui jette sur l'avenir une lumière dynamique dont les couleurs peuvent être celles d'une toupie d'enfant. Le passé éclaire le futur pour parfaire le présent, et la chaîne s'enroule autour du soleil.

René BEAULIEU

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