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Les critiques de Bifrost

Chanson pour Lya

Chanson pour Lya

George R.R. MARTIN
J'AI LU
4,80 €

Bifrost n° 67

Critique parue en juillet 2012 dans Bifrost n° 67

[Critique commune à Chanson pour Lya, Des astres et des ombres, Les Rois des sables et Dragon de glace.]

Lire un recueil de George R. R. Martin, c'est à coup sûr lire au moins deux, voire trois ou quatre nouvelles ou novellas exceptionnelles. Des textes de SF, la plupart du temps, ce qui tranche évidemment avec l'image actuelle qu'on a du démiurge de Westeros.

Chanson pour Lya illustre parfaitement cette assertion avec la novella-titre, une des plus belles histoires d'amour jamais écrite en SF, mais aussi « Au matin tombe la brume » et son mystère planétaire, « Pour une poignée de volutoines » et ses contrôleurs de cadavres à la recherche de pierres insynthétisables. Si ces trois textes accusent légèrement leur âge (1973, 1971, 1972), ils possèdent aussi le charme particulier, romantique, d'une SF à la charnière de deux époques : l'âge d'or est derrière, mais son sillage reste magique, la SF moderne audacieuse (celle de John Varley et William Gibson, entre autres) fait les cent pas juste devant, on la devine au détour d'une phrase cruelle, d'une description très explicite, d'une idée forte. On trouve dans ces trois perles des accents silverbergiens, vancéens, zelazniens (surtout) — que de bonnes références. « Chanson pour Lya », la novella, fait partie des textes qu'on n'oublie pas, qu'on relit avec passion, découvrant des ponts, des pistes qui nous avaient sans doute échappé à la première lecture. Amour, secte, séduction par la foi, désespoir, altérité, impuissance face à une tragédie en marche ; il y a là une richesse thématique qui manque à bien des romans d'aujourd'hui. Ce qui arrive à Lya, c'est comme voir Eddard Stark se faire [censuré par la rédaction au bénéfice des derniers lecteurs ou téléspectateurs innocents]… Il y a le choc, et une forme de surprise : oui, l'auteur est allé jusqu'au bout, un jusqu’au-boutisme sans outrance, dans la maîtrise parfaite des mots et des images. Au-cun deus ex machina. Ce qui devait arriver survient, tombe, comme il se doit. Le pire est presque la norme. Noire est la couleur.

Des astres et des ombres est un recueil tout aussi riche que le premier. Plusieurs nouvelles sortent du lot : « Les fugitifs » et « Equipe de nuit » qui malgré leur relative brièveté sont saisissantes, « La Tour de cendres » et « Un luth constellé de mélancolie » pour leur romantisme assumé. Le recueil ne contient que des nouvelles de science-fiction, mais dans certaines des images de fantasy pointent volontiers le bout de leur nez, notamment dans « Un luth constellé de mélancolie ». Terriblement violente mais inaboutie, « Sept fois, sept fois l'homme jamais » annonce en partie « Par la croix et le dragon », un des chefs-d’œuvre de l'auteur, et partage quelques points communs troublants avec le film Avatar. Des astres et des ombres contient aussi une curiosité : « La Bataille des eaux-glauques », longue nouvelle co-écrite avec Howard Waldrop, plaisante mais définitivement trop sage.

Les Rois des sables est sans doute le meilleur des recueils J'ai Lu, même s'il contient la très dispensable « Aprevères », qui mêle sans grand succès space opera et clichés de fantasy. On y lira surtout « Par la croix et le dragon », saisissante histoire d'inquisition future d'une richesse inouïe pour vingt-cinq pages seulement ; « La Dame des étoiles », récit de la descente aux enfers d'une femme contrainte à la prostitution dans un étrange astroport, et « Les Rois des sables », dernier et meilleur texte du recueil où un homme riche, d'une arrogance sans limites, achète des créatures extraterrestres fascinantes, les rois des sables, dont il ne s'occupe pas assez bien. Pire, il les affame et les tortures, ce qui ne sera pas sans conséquences. A noter que cette novella a été adaptée en 1995 comme épisode de la série Au-delà du réel, l'aventure continue, avec Beau Bridges (frère de) dans le rôle principal.

Dragon de glace, chez Actusf, est encore une fois un très beau recueil. Contrairement aux précédents, il n'est pas constitué pour majorité de textes de science-fiction ; en fait, il n'en comporte aucun. Si les deux nouvelles de fantasy, « Dragon de glace » et « Dans les contrées perdues », se lisent avec plaisir, surtout la première, ce sont les deux textes d'horreur, « L'Homme en forme de poire », et l'inédit « Portrait de famille », qui frappent le plus fort. « Portrait de famille », qui raconte comment un écrivain utilise un événement atroce dont a été victime sa fille afin d'écrire un livre à succès, ne cesse de monter en puissance jusqu'à la chute, remarquable d'élégance cruelle et de puissance tranquille. On ne peut s'empêcher de penser à Stephen King quand il met en scène des écrivains. On regret-tera toutefois la traduction française de ce texte, médiocre. Rien de catastrophique, mais c'est agaçant.

On l'a vu… dans chacun de ces quatre recueils, il y a toujours au moins deux grands textes. Si vous aimez la science-fiction, et supportez de lire des textes très marqués par les années 70, commencez par Une Chanson pour Lya ; si vous êtes plutôt intéressé par le fantastique moderne, alors Dragon de glace est pour vous. Par contre, autant vous prévenir, aucun de ces recueils ne séduira l'amateur pur et dur de fantasy médiévale, qui pourra néanmoins se rabattre sur Le Chevalier errant suivi de l'épée lige, préludes au Trône de fer, chez J'ai Lu.

Thomas DAY

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