Guère disponible en-dehors du marché de l’occasion, le cycle de « Chanur » fait l’objet d’une réédition en intégrale dans la collection « Nouveaux millénaires ». Deux briseurs d’étagères à pas cher regroupant cinq romans, avec un premier tome, ici chroniqué, composé de Chanur, L’Épopée de Chanur et La Vengeance de Chanur. De quoi réjouir les fans de Carolyn J. Cherryh — on connaît les noms ! —, les amateurs de space opera divertissant, mais aussi de Lois McMaster Bujold, avec laquelle l’autrice entretient une parenté, et pas seulement pour les nombreux prix Hugo qui récompensent son œuvre. Hélas, trois fois hélas, le chroniqueur doit d’entrée confesser s’être profondément ennuyé à la lecture de ce fort volume. Mais cela est sans aucun doute de sa faute…
Sept peuples spatio-pérégrins forment une association informelle dans un coin pas si lointain de la Galaxie, et dans un futur, disons, éloigné… Ils y pratiquent le commerce, respectant les conventions établies entre eux pour maintenir la paix aux points de rencontre, des stations spatiales ressemblant fortement à des ports francs. Un gentlemen’s agreement qui ne les empêche pas de comploter afin d’étendre leur pré carré. Plus roublards que les autres, les Mahendo’sat ont favorisé l’essor des Hani, leur procurant la technologie de la navigation spatiale afin de permettre à cette civilisation féodale de félins grégaires, où les femelles, épouses, sœurs et parentes contribuent à l’entretien et au développement des biens du clan, de sortir de son Moyen âge. Bien entendu, l’irruption des Hani dans le concert des peuples spatio-pérégrins a quelque peu irrité les Kif, des prédateurs fort antipathiques, et les Stsho, une espèce craintive et foncièrement raciste. Quant aux peuples méthaniens, tc’a, chi et autre knnn, nul ne connaît leur pensée tant leur attitude et actions paraissent incompréhensibles. Dans ce coin d’univers, l’équilibre prévaut donc, jusqu’au jour où surgit un huitième peuple : les hommes. Et lorsque Tully, un mâle humain un tantinet falot, trouve refuge à bord de L’Orgueil de Chanur, l’astronef commandé par l’habile Pyanfar Chanur, celui-ci devient l’enjeu d’un affrontement feutré et mortel.
Carolyn J. Cherryh a surgi dans le paysage science-fictif américain avec deux romans parus en 1976 (Les Portes d’Ivrel et Frères de la Terre), salués à leur époque par la critique, obtenant même le prix John W. Campbell du meilleur nouvel auteur de l’année en 1977. À partir des années 1980, elle élabore le cycle « Alliance-Union », dont le foisonnement et le relatif irrespect des conventions du genre apportent une touche assez rafraîchissante pour l’époque. Chanur et ses suites s’inscrivent ainsi dans ce cycle, faisant la part belle au personnage de Pyanfar Chanur et à l’équipage exclusivement féminin de son astronef, les mâles étant considérés davantage comme une charge. Un point de vue original, pour ne pas dire subversif, auquel Carolyn J. Cherryh s’efforce de donner de la substance en mettant à contribution les sciences sociales, humaines et naturelles. Toutes les nations extra-terrestres se voient ainsi dotées d’une culture substantielle et de motivations en cohérence avec leur nature, l’humanité étant ravalée, de son côté, à un rôle accessoire, une sorte de MacGuffin littéraire. Hélas, si le worldbuilding en impose par sa somptuosité et son inventivité, l’intrigue ne convainc guère. Dès Chanur, un fait confirmé ensuite avec L’Épopée de Chanur et La Vengeance de Chanur, le récit se révèle bavard, peu palpitant, voire répétitif. La tension dramatique accuse de sérieux coups de mou du fait d’un enjeu finalement bien maigre, et sans doute aussi à cause de personnages agaçants, pour ne pas dire caricaturaux. Bref, on tourne les pages sans passion, s’ennuyant de péripéties dignes d’un mauvais épisode de Star Trek ou Babylon 5.
Au final, s’il se trouve des amateurs pour tenter l’aventure du premier tome de l’intégrale, avertissons-les quand même que l’intrigue entamée par L’Épopée de Chanur trouve sa conclusion avec Le Retour de Chanur, au sommaire du second volume. Pour les autres, les amateurs de space op’ léger et admirateurs de félidés dans l’espace, voici une lecture recommandable. Une engeance à laquelle le chroniqueur n’appartient pas. Tant pis pour lui.