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Les critiques de Bifrost

Chimera

Gert NYGARDSHAUG
GAIA
496pp - 23,90 €

Critique parue en juillet 2023 dans Bifrost n° 111

Après un prologue où il se met en scène en observateur désabusé du désastre environnemental et social provoqué par la paupérisation et la pression démographique dans le delta du Niger, Gert Nygårdshaug nous projette vingt ans dans l’avenir, au cœur du continent africain, dans le parc national des Virunga. Une équipe internationale rattachée au Congo Rainforest Center (CORAC) y effectue des relevés, constatant l’étiolement irrésistible de la biodiversité, y compris dans cet espace protégé. Ce groupe hétéroclite composé de botanistes, zoologistes, entomologistes, ornithologues et biochimistes, ausculte l’environnement avec conviction et passion, mais aussi le secret espoir de parvenir à enrayer le processus de détérioration. Une équipe mixte et affûtée, dirigée par Gauthier de Payens, seul lien avec le GIEC, dont le CORAC émane comme bien d’autres structures scientifiques installées au chevet d’un monde mourant. La dynamique de l’effondrement ne s’est pas ralentie, hélas. Bien au contraire, l’inertie des gouvernements, l’incurie des choix économiques, le déni et les arrangements comptables avec la réalité restent plus que jamais d’actualité, poussant bien des tempéraments optimistes à la résignation, la colère, voire au cynisme. Mais une nouvelle menace a surgi de la forêt. Une souche virale inconnue dont le patient zéro, jusque-là placide, dominait un groupe de gorilles sur les flancs de la montagne avant qu’on l’abatte pour l’autopsier. Nelson, comme l’ont surnommé les scientifiques du CORAC, était en effet l’hôte d’un virus virulent, létal et transmissible à l’homme. De quoi éradiquer une tribu indigène et susciter l’effroi.

À l’ombre de la Sixième extinction et de Stephen Hawking, dont les prédictions sur le devenir de l’humanité résonnent encore sinistrement à nos oreilles, Chimera est un redoutable page turner dont la lecture ne risque pas de provoquer que des nuits blanches. Convoquant la science et les ressorts du roman catastrophe, Gert Nygårdshaug ne se contente pas de dérouler un récit sous-tendu par l’urgence et le suspense. Il dresse le portrait crédible d’un avenir en sursis, tributaire de notre faculté à nous coltiner avec le réel d’une croissance destructrice, guidée uniquement par le profit à court terme. « Laissons la politique, les actes de guerre et la Bourse à la partie la moins évoluée de notre espèce ». Si le propos de Gert Nygårdshaug n’incite guère à la fraternité, l’auteur ne se cantonne cependant pas à dérouler le spectacle désabusé des maux suscités par les choix économiques et politiques qui confortent nos modes de vie et de consommation. L’acidification croissante des océans, les pics du pétrole et du phosphore, la stérilisation des sols et la désertification des fonds marins ou fluviaux contribuent au moins autant à l’emballement mortifère de l’anthropocène que l’effet de serre si prisé des médias. Mais, surtout, comme le pressentaient certains auteurs de SF des années 1970, la surpopulation conjuguée au développement économique sont les adjuvants puissants du désastre. Entre économie et écologie, il faudra bien un jour choisir ou envisager de coloniser l’espace avant qu’il ne soit trop tard, comme l’appelait de ses vœux Stephen Hawking.

Après la « Trilogie de Mino » (critiques in Bifrost 77, 79 & 82), dont le propos fait écho au présent roman, Gert Nygårdshaug dresse à nouveau un réquisitoire sans pitié de notre civilisation. Et si d’aucuns jugent qu’il flirte un peu trop avec le nihilisme, attendons avant de lui jeter la pierre de voir ce que nous réserve l’avenir. On pourrait le regretter.

Laurent LELEU

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