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Les critiques de Bifrost

Chronique du soupir

Chronique du soupir

Mathieu GABORIT
LE PRÉ AUX CLERCS
304pp - 19,30 €

Bifrost n° 65

Critique parue en janvier 2012 dans Bifrost n° 65

Cela faisait déjà un certain temps que l’on n’avait pas eu l’occasion de découvrir un roman signé Mathieu Gaborit.

Et par la force des choses, les « retards » accumulés par ce Chronique du soupir, plusieurs fois repoussé, ont généré curiosité et attente. Le retour de Mathieu Gaborit s’avère-t-il convaincant ? Tout dépend ce que l’on cherche. L’auteur explore notamment des thèmes souvent peu exploités sous cet angle en fantasy, pour ne pas dire très rarement : la nature même de l’amour, la place des liens familiaux, le poids de l’attente, les contraintes du libre-arbitre… Il faut dire qu’il semblait évident à la lecture de la lettre ouverte de Mathieu Ga-borit sur le site de son éditeur que ce roman allait toucher à l’intime. L’auteur l’affirme : il a mis beaucoup de lui et de son parcours dans cette histoire. La sincérité de sa démarche n’est donc pas à mettre en cause.

Mais le fait est que le roman en tant que tel peine à convaincre. En superposant à ses personnages un canevas de fantasy épique classique mais travaillé (le concept des lignes-vies, le souffle, le « bestiaire », etc…), Gaborit parasite pour ainsi dire sa trame et tisse une histoire finalement un peu terne qui ne devrait pas forcément combler l’appétit des amateurs de high fantasy pure et dure malgré certaines scories du genre, comme s’il avait fallu en passer par là.

Quant aux autres, peut-être plus aventureux, ou plus curieux, rien ne dit que le roman fera mouche pour autant. Car il faudra passer outre des considérations abordées par l’auteur le plus souvent avec une naïveté ou une candeur toute adolescente. D’où des réactions souvent étonnantes de la part de personnages au destin au mieux contrarié et soumis à d’amères épreuves. Des personnages, qui, à l’image des thèmes majeurs abordés, changent du tout-venant de la fantasy épique, à commencer par la figure de Lilas, la naine matriarche, ou bien encore son fils Saule.

Mais difficile pourtant de s’attacher à eux, car, au-delà même du traitement des thèmes abordés à travers ces personnages, il reste trop souvent une barrière entre les protagonistes de cette histoire et le lecteur, simple spectateur assistant à une représentation encore hésitante. Un flou qui se retrouve finalement à l’échelle de ce roman à la gestation visiblement compliquée : on a parfois l’impression de lire encore un brouillon, comme s’il manquait un peu plus de recul. Sans doute à cause de cette sensation de déséquilibre entre accent mis sur les personnages et leurs relations, leur intimité, et cadre plus épique (que nécessaire ?). Une sensation qui se retrouve donc partout : dans l’intrigue finalement dépourvue de tension, dans ces personnages falots qui semblent animés d’une étincelle par trop artificielle à force d’atermoiements ou d’entêtement abscons, et même dans un système de magie plutôt confus, alors que beaucoup de choses tournent pourtant autour de ses principes fondateurs.

Restent une atmosphère singulière et la plume même de Mathieu Gaborit, toujours capable d’ourler de jolies phrases et de toucher au cœur, mais aussi de tomber de temps à autre dans un maniérisme emprunté.

Trop long à trouver son propre souffle, Chronique du Soupir a également bien du mal à tenir la distance. La pagination saute d’ailleurs aux yeux, qu’on le veuille ou non. Police de grande taille, succession de pages blanches entre deux chapitres… Et malgré tout ça, il est bien difficile d’arriver à 300 pages. On se demande dès lors si cette histoire n’aurait pas été plus consistante sur la forme d’une nouvelle, ramassée, raffinée. Car si de magnifiques romans, fulgurants, peuvent très bien ne pas atteindre les 200 pages et vous marquer au fer rouge, ce n’est pas le cas ici.

Mathieu Gaborit explique ne plus être en phase avec l’heroic fantasy, ou du moins, une certaine idée de celle-ci. Il décrit son roman comme un testament (une évidence à la lecture des deux derniers chapitres, où l’on peut dresser un parallèle entre l’intrigue et la démarche de l’auteur) et explique avoir voulu renoncer à certains passages obligés du genre. Il est cependant regrettable qu’il n’ait pas poussé plus loin son expérimentation, cette envie de briser les codes, quitte à perdre des lecteurs, quitte à ce que ce testament se change en lettre de désamour.

Sa nature atypique aurait sans doute pu alors nous convaincre pleinement. Mais peut-être fallait-il en passer par là pour découvrir un Gaborit nouveau ? En attendant la prochaine étape, la curiosité n’a pas disparu…

Emmanuel CHASTELLIÈRE

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