Connexion

Les critiques de Bifrost

Chroniques d'un rêve enclavé

AYERDHAL
AU DIABLE VAUVERT
392pp - 19,00 €

Critique parue en avril 2025 dans Bifrost n° 118

Paru pour la première fois sous le titre Parleur, puis réédité plusieurs fois sous son titre actuel, Chroniques d’un rêve enclavé est sans doute l’un des plus importants romans d’Ayerdhal. On y trouve en effet la quintessence de sa réflexion politique et quelques réminiscences de la Commune insurrectionnelle, celle de Lyon. Les lecteurs du défunt magazine Ozone ne s’y sont d’ailleurs pas trompés en lui décernant un prix. Chroniques… est d’abord un roman politique. Ayerdhal y rappelle la nécessité vitale de s’investir dans la vie de la cité, de participer à son organisation et à son gouvernement dans l’intérêt de tous et non de quelques-uns. Il plaide ainsi pour l’engagement de chacun dans un collectif, une démocratie trop souvent réduite à satisfaire les intérêts particuliers. La tâche est ardue, considérable, d’autant plus difficile qu’elle n’est pas dénuée de motifs d’agacement, d’incompréhension, de coups de gueule et de conflits. Mais elle est aussi riche d’enjeux concurrents qu’il convient de concilier par des trouvailles généreuses ou des coups d’éclat confinant au génie. C’est à ce prix, pas trop cher payé, que la démocratie vit dans son acception la plus élémentaire, celle défendue par la pensée anarchiste. Chroniques… est aussi un roman de combat, une lutte impitoyable contre les puissances de l’économie, de la religion et de la politique. « Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. » Faisant sienne la phrase de la Boétie, Ayerdhal défend les vertus de l’émancipation, menant un combat tenant davantage du rapport de force et du détournement des armes de l’ennemi contre lui-même. Par la parole, la non-violence, la désobéissance civile, la résistance passive et l’auto-organisation, les Collinards s’efforcent d’offrir le moins de prise possible à la réaction des puissances qui les oppriment et les soumettent à leur autorité ou leur volonté. Si Parleur apparaît comme le moteur de la révolte, impulsant par son discours et ses allusions fréquentes aux sentences énoncées par le poète Karel les dynamiques du changement, il n’apparaît cependant pas comme un guide faisant le lit de la révolution pour mieux en accaparer les fruits. Au contraire, à la fois porte-parole et poil à gratter, il distille une réflexion sur les notions de commun et de collectif, amenant progressivement les uns et les autres à sortir de leur zone de confort et des routines délétères. D’aucuns le taxeront bien sûr de manipulateur. Il ne tire pourtant aucun profit personnel de l’aventure. D’autres s’irriteront du registre utopique de sa proposition. De cette utopie, Ayerdhal n’est pas dupe, comme en témoigne le dénouement tragique et ouvert.

Pour toutes ces raisons, passons outre les petites pointes d’agacement ici et là. Les apartés insérés entre chaque chapitre, appelé veillée, qui font certes contrepoint au combat des Collinards, mais viennent surtout hacher la progression dramatique. Sans oublier le rôle dévolu aux femmes, un tantinet réduite à la portion congrue, si l’on fait abstraction de la Mante (l’amante ?). Tout cela ne vient heureusemen pas amoindrir un récit qui déjoue les clichés de la fantasy, nous incitant à reconsidérer la violence comme unique moyen pour obtenir une véritable émancipation.

 

 

Laurent LELEU

Ça vient de paraître

Le Magicien de Mars

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 119
PayPlug