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Les critiques de Bifrost

Chroniques des ombres

Pierre BORDAGE
AU DIABLE VAUVERT
504pp - 23,00 €

Critique parue en janvier 2014 dans Bifrost n° 73

Suite à l’Apocalypse nucléaire, l’humanité survivante est regroupée dans des Cités Unifiées dotées de purificateurs d’air, reliées entre elles par des tubes sous-marins, comme c’est le cas de NyLoPa, qui réunit New-York, Londres et Paris, soit cent quatorze millions d’habitants. À l’extérieur, dans le pays horcite, des clans retournés à la barbarie survivent comme ils le peuvent. Outre la précarité, la misère et la violence, les cancers et malformations dus aux radiations diminuent fortement l’espérance de vie ; quelques individus ont acquis un pouvoir, de métamorphose ou de prescience. L’accès aux cités est impossible, l’absence de biopuce logée dans le cerveau de chaque citoyen des CU identifiant immédiatement les intrus. La sécurité omniprésente est assurée par une force de police traditionnelle et des fouineurs, super-agents dont la biopuce, équipée d’un logiciel connecté aux données numériques, dope les capacités d’analyse et de réflexion.

Ganesh Parvati, au nom et à la symbolique transparents, fouineur récemment nommé, est doté d’une puce de nouvelle génération, une IA à même de prendre le contrôle de son corps pour le sortir de situations mal engagées… Avec Théo, un vétéran, et Ava, une stagiaire, il enquête sur divers meurtres en série perpétrés par des assaillants invisibles dénommés les Ombres. La terreur causée a des répercussions politiques. Le territoire horcite est, quant à lui, menacé par les Cavaliers de l’Apocalypse, qui déciment chaque tribu, annonçant que la fin de l’humanité est proche. Naja, qui les a vus, suit Deux Lunes, un jeune guérisseur opposé à toute violence, dont la douceur et la compassion permettent de se tirer de bien des mauvais pas. En cours de route s’ajoute Josp, orphelin presque aveugle du fait de sa réclusion dans des grottes, qui a, par éclipses, un don de prescience bien utile pour prévenir certains dangers.

L’intrigue suit en alternance les deux groupes, autour desquels gravitent d’autres personnages, avec des péripéties dignes de thrillers d’espionnage pour l’un, plus aventureuses pour l’autre. Il s’agit de comprendre quel complot politique se trame derrière ces meurtres commis par centaines, et d’identifier la menace pesant sur l’humanité déjà au bord du gouffre. En auteur populaire confirmé, Bordage multiplie les rebondissements et les coups de théâtre, séparant ses personnages pour mieux leur permettre de se retrouver, dévoilant avec parcimonie mais régularité les éléments de son intrigue.

À l’origine, il s’agissait de relever un nouveau défi : écrire un feuilleton de trente-six épisodes à la manière des auteurs du XIXe siècle, ce que Bordage avait déjà réalisé avec Les Derniers hommes, la rédaction se poursuivant cette fois pendant la publication sous forme numérique. Une mise en danger réel-le puisque, pour raisons de santé, la série connut une brève interruption l’été dernier.

Aussi, on ne s’étonnera pas si l’intrigue progresse à travers les dialogues et si le décor semble par moments hâtivement esquissé. Mais c’est un choix clairement assumé, car le feuilleton était en outre proposé en version MP3 ainsi qu’en BD filmée, laquelle alterne, pas toujours de façon très heureuse, plusieurs styles de dessin, du classique au manga, visant clairement un public davantage adolescent. Il y a, feuilleton oblige, des facilités, un peu de mou en milieu de récit, mais ce ne sont que broutilles, vu le challenge. Dans la dernière partie, le texte retrouve davantage de densité et propose un finale réglé au cordeau. Avec un sens du rythme certain, Pierre Bordage se sort brillamment de l’exercice. Du grand art, populaire certes, mais pleinement abouti.

Claude ECKEN

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