Une fois n’est pas coutume, la quatrième de couverture rend justice de la qualité de l’ouvrage au lieu de flagorner éhontément. Cependant, Jacques Boireau ne fut pas à proprement parler « un secret bien gardé des littératures françaises de l’imaginaire ». En tout cas personne, et surtout pas lui, ne nourrit jamais l’ambition de le dissimuler au grand public, comme si celui-ci en eût été indigne. Son premier texte, d’ailleurs, « Les Enfant d’ibn Khaldoûn », fut publié dans la revue Univers des éditions J’ai Lu, que dirigeait alors Yves Frémion, et qui connaissait une large diffusion. Malheureusement, cela ne dura pas. Peut-être Jacques Boireau ne fit-il pas, certes, tous les efforts nécessaires pour placer au mieux sa production, préférant travailler la qualité de son écriture. Outre la revue Fiction, sa production ne trouva bientôt place que dans des publications confidentielles ou chez des éditeurs économiquement fragiles. L’enchaînement de ces circonstances fit qu’il ne connût jamais la notoriété à laquelle il eût pu prétendre en dehors d’un cercle étroit d’amateurs. Pire, une part non négligeable de son œuvre restait inédite à sa mort. Ce beau gros recueil lui rend trop tardivement justice chez un éditeur plus visible que ceux qui l’ont précédé. Sept des vingt-six nouvelles choisies par Richard Comballot étaient toujours inédites. Une édition « de luxe » de cet ouvrage, sous le label Moltinus, à tirage limité, est par ailleurs annoncée ; elle devrait contenir douze nouvelles inédites supplémentaires.
En l’état, le recueil se découpe en trois parties thématiques.
« Les Chroniques sarrasines » sont une uchronie où les Francs et Burgondes de Charles Martel, alliés aux Aquitains de Eudes, ne l’ont pas emporté face aux Arabes omeyyades menés par Abd al-Rahman à Poitiers en 732. Ceux-ci se sont donc établis en Occitanie, et la vie y est aujourd’hui plus douce et agréable qu’au nord, resté sous domination franque. Mais cette uchronie est vue par ceux qui y vivent en cette fin de xxie siècle, des gens du commun…
Deuxième partie, « La Baie des espérances » n’est pas sans évoquer Jack Finney, avec ses textes empreints d’une certaine nostalgie. Boireau y peint un passé idéal qui n’a jamais été marqué par l’écologie. On pense tout spécialement à « Chronique de la vallée », qui obtint le prix Rosny-Aîné en 1980. Ou « Les Bisons célestes », qui semble inspirée d’un mythe des Indiens d’Amérique du Nord, et dénonce les énergies hydroélectriques et éoliennes ayant désormais le vent en poupe, montrant combien l’écologisme rejetait déjà, à l’époque, toute la civilisation technique.
« La magie des îles », ultime partie largement inédite, propose une SF plus classique bien que l’auteur n’y renonce jamais à ses engagements politiques, ni non plus à la superbe écriture qui est la sienne. Cependant, les textes restent empreints d’un pessimisme latent et nul triomphalisme n’est de mise, comme si Jacques Boireau ne croyait pas possible la victoire de ses idées (de gauche) ou qu’il jugeât ce ton politiquement plus efficace. Ses univers aux teintes douces-amères et désenchantées lui ont sans doute coûté une plus large audience. Si son œuvre mérite d’être à nouveau disponible, c’est bien parce que des auteurs politiques des années 80, il est, avec Joëlle Wintrebert et une poignée d’autres, de ceux pour qui la défense de leurs idées en littérature nécessitait que l’on écrivît de son mieux. Une (re)découverte nécessaire.