Robert REED
IMAGINAIRES SANS FRONTIÈRES
16,00 €
Critique parue en septembre 2002 dans Bifrost n° 27
Avec « Les Cercueils », ce recueil commence par un écueil… Autant pour l'assonance. Si ce texte n'est pas le plus mauvais du livre, il s'en faut de peu. Histoire paroxystique de naufrage dans l'espace vaguement drôle où le scaphandre est si parfait que l'ordinateur, une fois le passager mort, le reconstitue à partir des bactéries issues de la décomposition du cadavre.
« Hybride », le second texte, est plus ambitieux. Dans un monde quelque peu différent du nôtre existent des hybrides d'homme et de loup dont on peut disposer comme animal domestique moyennant une sécurité renforcée car ils sont dangereux. Robert Reed traite ce sujet lycanthropique dans sa dimension éthique. On peut y lire une métaphore à travers laquelle il propose que les gens traitent aussi bien les autres humains que leurs animaux familiers.
« La Création du monde » est intéressant car fonctionnant à deux niveaux. Deux groupes d'élèves sont amenés à créer des modèles de monde. L'un violent et barbare, l'autre pacifiste et hautain. Et les deux mondes se rencontrent. Les barbares sont annihilés. Le professeur qui dirigeait ce cours en vient à se demander quel groupe est le plus impitoyable. Si Spinrad et Ayerdhal avaient écrit de meilleurs textes sur la résistance passive, Reed pousse la réflexion un cran plus loin.
Le sport étant ce qu'il est, il allait bien falloir disputer « Le Match du siècle ». Et avant ça, le préparer. C'est à dire engendrer des joueurs de football (américain) génétiquement modifiés à dessein. Pas cloner les meilleurs joueurs du passé, non, créer des espèces de gorilles assez intelligents pour piger les règles et les tactiques… mais aussi pour tromper ceux qui ont fait d'eux à la fois des monstres de foire et des objets. Un texte sympathique.
Dystopie dickienne, « Le Nouveau Système » est l'un des meilleurs récits de ce recueil. Les personnages s'y voient annoncer qu'ils font dorénavant partie du Nouveau Système. Un petit effort et tout sera pour le mieux au meilleur des mondes. Quelle bonne fée s'est penchée sur notre pauvre humanité ? Qu'importe ! Le chemin de l'enfer est pavé de bonnes intentions et le meilleur des mondes dévale des cascades d'effets pervers jusqu'au chaos. Que faire sinon en remettre un bonne couche ?
Les « Fouette-queues » sont des lézards américains exclusivement femelles. Reed suppose une planète plus douce que la Terre où les espèces sont uniquement femelles et où une civilisation a vu le jour et finit par découvrir dans les pires niches écologiques de rares espèces bisexuées. Comme cette civilisation maîtrise la génétique, elle crée son premier mâle et se voit confronté à l'altérité et à l'unicité. Un intéressant renversement de situation.
« La Forme de toute chose » est l'un des points faibles de ce recueil. Un vieil astronome embarqué sur un vaisseau stellaire fait partager à une jeune femme ses souvenirs de colonies de vacances…
« Les Deux Sam » se partagent un même être entre la vie quotidienne en Amérique du nord et une vie de démiurge dans une Amérique centrale précolombienne inspirée du jeu Civilisation. Et il a bien du mal à choisir entre ces deux réalités. Une réflexion sur la place que peuvent occuper des univers ludiques investis de fantasmes dans l'esprit de certains. Une inversion de l'univers de « Poupée Pat » (Dick) où la réalité n'est pas sujette à caution mais où il y a un risque de barrer dans les décors.
Le « background » de « Chrysalide » n'est pas sans faire penser à « la Culture » de Iain M. Banks. L'équipage d'un vaisseau parcourt la galaxie en se croyant les derniers humains de la création, les seuls ayant échappés à des guerres apocalyptiques. Une équipe d'exploration découvrent qu'il n'en est rien et entre en conflit avec les I. A. qui les ont maintenus dans l'ignorance de la survie et de l'expansion humaine.
Dans son ensemble et malgré quelques faiblesses, ce premier recueil en français de Robert Reed laisse une impression favorable. Bien qu'aucun texte n'ait la force de « Décence », la plupart mérite lecture. Les plus faibles n'ont rien de rédhibitoires et il serait vraiment dommage de passer à côté des meilleurs : « Hybride », « Fouette-queue » et « Le Nouveau Système ». Une lecture agréable et intéressante à consommer sans modération.