Un jour, la réalité se détraque : une dimension se fausse légèrement et soudain, certaines femmes et certains hommes se trouvent capables de faire émerger pendant quelques secondes des êtres tirés de leur imagination. Les enfants s’emparent du phénomène et le monde des contes de fée arrive à la vie. Mais tout ceci reste limité par le temps. Le délai au bout duquel les apparitions disparaissent est ex- trêmement bref. Jusqu’à ce que la jeune Sarah, émerveillée par les possibilités et incapable désormais de vivre sans ses doudous venus d’une autre dimension (la Cinquième), améliore le processus. Les créatures magiques prennent vie pour plusieurs minutes dorénavant. Et une seule personne est capable d’en guider plusieurs en même temps. Les possibilités qui s’offrent à la jeune fille et à son amie sont immenses. Or, les adultes vont s’en emparer – y compris les militaires, bien entendu…
Parallèlement à cette histoire, on suit celle de Sara (sans « h »), des années plus tard. La cinquième dimension est parfaitement domestiquée et est devenue un art. Ou, plus précisément, une industrie du spectacle, la Cimqa. Car dorénavant, tout le monde ne peut plus s’amuser à créer sur la voie publique n’importe quoi. Un cadre législatif est venu réguler cet usage artisanal. Et les artistes sont contraints de se couler dans le moule des grosses boites qui, à grand renfort de sondages, prétendent connaître les goûts du public… et formatent la création. Chose que Sara supporte de moins en moins. Elle se sent étouffée, bridée par ces contraintes. Au point de ne plus parvenir à rien.
Dans ce deuxième roman, Auriane Velten change complètement de décor. La lauréate du prix Utopiales 2021 (pour After ® - cf. Bifrost n°103) signe un roman attachant, plutôt destiné à un jeune public. Le merveilleux et le monde de l’enfance y sont glorifiés. Car ce sont eux qui permettent de garder une capacité de création véritable, une originalité capable de surprendre et d’émerveiller. Quand la société impose son carcan, toute la force des rêves est dissoute, écrasée par la soi-disant volonté populaire. Vouloir plaire à tout le monde à tout prix. Quitte à écraser le talent, la différence sous une masse de chiffres et d’indifférence. L’art peut-il se survivre dans cette tambouille fade ?
La structure du roman, alternant les deux personnages principaux, permet de maintenir le suspens en distillant les informations progressivement. Mais on comprend vite où tout cela va nous mener et ce qui compte vraiment, c’est l’évolution de Sara et Sarah. C’est de voir comment elles vont parvenir à tirer leur épingle du jeu dans un monde où elles détonnent. Comment l’autrice imagine la vie en couple, avec ses difficultés et ses plaisirs. Comment vivre en tentant de mêler la passion au pragmatisme. Et de se demander s’il faut rester dans le rang par prudence ou tout risquer au nom d’une idée. Des questions éternelles, traitées avec douceur par une autrice qui n’hésite pas à surprendre ses lecteurs par ses choix.