Claire DUVIVIER
AUX FORGES DE VULCAIN
384pp - 20,00 €
Critique parue en janvier 2022 dans Bifrost n° 105
Après avoir avidement lu Le Sang de la Cité de Guillaume Chamanadjian, premier tome de la trilogie « Capitale Sud » appartenant à la série écrite à quatre mains « La Tour de Garde » (cf. Bifrost 103), c’est avec beaucoup d’attentes que votre serviteur s’est plongé dans Citadins de demain de Claire Duvivier, entame de la trilogie « Capitale Nord » (tout le monde suit ?). On y fait la connaissance d’Amalia van Esqwill, jeune aristocrate que ses parents, actionnaires de la Compagnie du Levant de Dehaven, ont décidé d’élever différemment afin qu’elle devienne, avec ses deux amis, Hirion, fils de riches propriétaires fonciers et terriens, et Yonas, fils d’un éclusier, les citadins de demain. Leur objectif ? Créer une nouvelle lignée dans le but de moderniser Dehaven et sortir la ville de l’obscurantisme des contes et des légendes dans laquelle elle s’enlise. Rationnaliser la ville, progresser, voilà ce qui compte pour cette famille richissime. Le destin d’Amalia est donc tout tracé, jusqu’au jour où Hirion, son ami et futur époux, découvre une cassette contenant des objets magiques, dont un miroir qui ne renvoie pas de reflet mais s’ouvre vers une autre ville, très semblable à Dehaven…
À la lecture, on s’amuse à jouer au jeu des ressemblances et des différences entre les deux premiers tomes de « La Tour de Garde ». La jeunesse des héros, le roman d’apprentissage, le trio d’amis sont des marqueurs communs, tout comme leur terrain de jeu : la ville. Mais si Guillaume Chamanadjian privilégiait le tumulte de Gemina, on retrouve dans Citadins de demain le ton poétique du premier roman publié de Claire Duvivier, Un long voyage (critique in Bifrost 99). Et à raison car Dehaven, cité aux accents d’Amsterdam, est tout à l’opposé de Gemina. Ses rues sont bien droites, ses quartiers fermement délimités, et ses différentes classes ne s’y mélangent pas – cette ville est riche et tient à le rester. Moins marquante que Gemania, Dehaven n’en est pas moins une prison dorée pour cette jeunesse aristocratique qui accepte son destin sans rechigner et dont nous découvrons le quotidien au travers du regard d’Amalia. On se laisse séduire par le langage volontairement soutenu que l’auteur prête à son personnage issu de la haute noblesse, le dépaysement est total et se fait en douceur pendant la première partie du roman. Quel délice ! On apprécie aussi la pudeur et la délicatesse des rapports amoureux dû à son rang, et la fragilité d’Amalia qui sait sans oser se l’avouer combien cette vie ne lui convient guère. Puis, le roman prend une tout autre dimension dans sa seconde partie, la découverte de Nevahed – la ville à travers le miroir – par les trois amis change leur perception du monde, de leur monde, comme de leur relation. Ce qu’ils prenaient pour un jeu va petit à petit virer au cauchemar, car c’est le prix à payer, à l’instar de Faust, quand on décide de se laisser fourvoyer par un pouvoir qui nous dépasse…
La suite, maintenant !