Clap de fin pour la version française de « Métro 2033 » initiée par la version russe de Dmitri Glukhovsky en 2005. Ultime volume de cette trilogie signée Pierre Bordage, Cité finit en apothéose, presque au sens propre du terme. Car, comme on le pressentait à la lecture de Rive droite (critique in Bifrost n° 103), l’avenir est en surface. La vie dans les souterrains du métro a atteint ses limites : trop de haines, de passions violentes et contradictoires accumulées mettent en danger les équilibres trouvés au sein des différentes parties du métro parisien, dans les clans aux coutumes diverses. Les mutants ont beau user de tous leurs pouvoirs, absorber au maximum les tensions afin de faire redescendre les risques de conflit, on s’approche du seuil fatal où l’humanité terrée dans les tunnels de la capitale française pourrait connaître une crise définitive après avoir survécu à l’apocalypse nucléaire. Mais, bien entendu, difficile de trouver un consensus. Chaque potentat y va de sa rengaine, à base de divinité ou de libéralisme bien senti pour conserver – voire accroitre – son pouvoir. Et ceux qui appellent à sortir de l’obscurité pour retrouver la lumière du jour passent pour des illuminés, des fous. Et ce d’autant plus que les condamnés envoyés à l’extérieur reviennent sous forme de cadavres atrocement brûlés. La surface n’est-elle donc pas toujours mortelle ? Pourquoi, en ce cas, certains mutants affirment-ils que l’air est redevenu pur, et qu’il est possible de vivre comme avant et non plus comme des taupes ?
Voilà pour l’intrigue principale de ce roman. Qui sert, bien sûr, d’écheveau central à une série d’intrigues secondaires dignes de « Game of Thrones », voire, en ce qui concerne les passions humaines, et comme le clame la quatrième de couverture, de certaines œuvres de Victor Hugo (enfin, si on veut…). Pierre Bordage ne manque pas d’un certain souffle, il est vrai, et sa maîtrise narrative n’est jamais prise en défaut. D’aucuns lui reprochent d’ailleurs (on en connaît en Bifrosty !) de se contenter depuis bien longtemps d’user de vieilles recettes sans oser se mettre en danger. Possible. Reste que dans cette trilogie, il prouve une nouvelle fois ses qualités de conteur évidentes et son attachement à l’humain. Bordage croit fondamentalement à la bonté des individus. Pas tous, il n’est pas naïf à ce point. D’ailleurs, il n’hésite pas à décrire, comme peu savent le faire, des scènes d’une violence et d’une sauvagerie répugnantes. Il met en scène des leaders effroyablement cruels et vénaux, dirigés par leurs seules pulsions égoïstes et morbides. Mais il offre aussi à ses lecteurs des personnages aux intentions plus altruistes, aux moteurs plus nobles. Et cela sans candeur, sans excès de sirop (quoique, peut-être un brin quand il décrit le jeune couple que composent Juss et Plaisance). Il confère à sa fresque une dimension presque mystique, mais sans réelle religion : les pseudo-croyances sont étrillées tant elles sont le fait de fanatiques ou d’opportunistes. Non, Pierre Bordage croit en la femme et l’homme. En des êtres faillibles, mais ouverts à la culture et aux autres, portés non par des besoins égoïstes, mais par une envie de découvrir autre chose, d’aller plus loin, de progresser. Et la beauté de ce message, porté par une machinerie narrative redoutable, permet de pardonner certaines facilités. Cité clôt dignement un cycle qui, s’il ne marque pas un tournant dans l’œuvre de notre auteur, reste un représentant tout à fait honorable de son savoir-faire doublé d’une lecture véritablement immersive.