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Les critiques de Bifrost

City

Joël HOUSSIN
GOATER
14,00 €

Critique parue en janvier 2021 dans Bifrost n° 101

La collection « Rechute » des éditions Goater se veut explicitement (p. 4) la résurrection de la collection « Chute libre » des éditions Champ Libre, la maison de Gérard Lebovici — cette collection créée sur une idée de Jean-Patrick Manchette et dirigée par Jean-Claude Zylberstein. Vingt-et-un titres y furent publiés de 74 à 78, dont, histoire de situer le propos : La Jungle nue et Tarzan vous salue bien de Farmer, Le Chaos final de Spinrad,Vice versa de Delany,La Défonce Glogauer de Moorcock, Venus Plus X de Sturgeon, Orgasmachine de Watson, ou encore La Foire aux atrocités de Ballard. Le tout illustré par des Tardi et autres Mœbius… En fait, « Chute libre » fut en pleine concurrence avec la collection « Contre coup » des éditions du Sagittaire, où l’on retrouve Dick et Malzberg aux côtés de Vonnegut et Platt, pour l’exemple. Les visuels étaient différents, mais dans un esprit proche. Même format et même matière souple et toilée pour les couvertures, à l’instar de Goater. Marianne Leconte reprit dans sa collection de poche « Titres SF » chez Jean-Claude Lattès, une large part de la collection « Chute libre », mais aucun « Contre coup ». Ces deux collections ne publièrent que des anglo-saxons tandis que Goater est ouvert aux francophones.

On l’aura compris, nous voici replongés au cœur de ce que fut la SF politique des années 70/80. Une littérature qui se voulait engagée (à gauche), contestataire, transgressive et tournée vers la sexualité la plus débridée — le Sida n’était pas encore passé par là. « Rechute » propose des œuvres récentes et inédites, à l’exception notable de Joël Houssin, justement, des œuvres engagées, gauchistes — un court recueil d’Ursula Le Guin, Les Filles feu follet et autres textes, et une novella de Samuel Delany, L’Athée du grenier, sont annoncées à l’heure où nous bouclons.

Houssin fut, entre autres, un auteur de SF des années 80, et donna aussi dans le polar noir avec Le Doberman ; voilà qui situe. Une littérature violente, voire ultra, qui cogne sec dans les tripes, mais on en a tant vu… Une littérature coup de poing, au sens propre : dans City, le pouvoir, la présidence, se conquiert sur le ring, entre les cordes, les gants aux poings. De la littérature Red Skins, en quelque sorte. L’univers peint à gros traits par Houssin n’est que la caricature de ce que fut le nôtre, dont il exacerbe les aspects les plus noirs et violents, les côtés les moins ragoutants. City est un vaste jeu de massacre de la différence sur fond de complot capitaliste vu par le flingueur-chef, le tout assaisonné de quelques scènes de sexe pas piquées des hannetons qu’on n’oserait plus écrire sans risque aujourd’hui.

Dans « Multicolore », la première nouvelle à succéder au roman, le statut social ne se joue plus sur le ring mais à la roulette. Une roulette assurément russe, puisque les perdants finissent flingués fissa, dans un contexte sociétal axé sur le jeu, la flambe, la frime, sans aucune opposition. Suit « Cinq cent milligrames d’enfer », où les labos pharmaceutiques règnent en maîtres, se faisant de ces guerres où l’on tire court… Là encore, plus ça change, moins ça change. Thème qui sera aussi celui de « Jolie petite fille », où la rebelle finit comme solution de continuité pour la société en forme de ruche qu’elle tentait de fuir ; le pion qu’elle était atteint la huitième rangée pour se changer en reine.

Excepté le dernier, ces textes ont recours à des artifices typographiques comme il était alors fréquent — des auteurs tels que Daniel Walther s’y adonnaient d’abondance. Des récits typiques de leur époque, on l’a dit. Il y a un gap non négligeable à les ressortir aujourd’hui, tant la société a changé. Tout comme la Chine de Xi Jinping n’a que bien peu à voir avec celle de la Révolution Culturelle et ses Gardes Rouges — ce qui était alors des revendications légitimes a désormais, dans le monde capital-socialiste actuel, accédé au pouvoir, mais ce faisant, s’est également modifié. Corrompu ?

Bien que datée, l’écriture de Joël Houssin n’en reste pas moins dynamique ; on ne s’y ennuie pas. Toutefois, l’écart entre ce qui nous est présenté de potentialité et le monde actuel fera sans doute décrocher certains lecteurs. Il ne faut pas perdre de vue ce que l’on lit : Houssin ne critique pas le monde contemporain, mais celui des années 70/80.

Jean-Pierre LION

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