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Les critiques de Bifrost

Clairières

Clairières

Gilles RIBERO
ALLIA
112pp -

Bifrost n° 101

Critique parue en janvier 2021 dans Bifrost n° 101

Dans le futur proche de Clairières s’est fait jour une nouvelle déclinaison du métier d’architecte, exercée par Robert Gallant, le protagoniste de ce premier roman du plasticien Gilles Ribero. Celle-ci consiste à imaginer et bâtir des « vitrines virtuelles » à destination d’entreprises aussi bien désireuses de mettre en valeur leurs résultats économiques que de « remodeler » leurs espaces de travail. Lesdites vitrines sont ainsi nommées non pas du fait de leur inexistence matérielle – elles sont autant d’artefacts bel et bien présents – qu’à cause de ce qu’elles exposent au regard. Ces vitrines d’une nature inédite sont conçues pour « absorber toutes les données générées par l’entreprise sur une période donnée, les traiter et les réorganiser selon leurs qualités de résonance et leurs affinités ». Tenant à la fois de l’écran d’informations boursières high-tech et de l’installation d’art contemporain (leur esthétique mûrement pensée évoque un « décor expressionniste »), ces vitrines font encore office d’éléments de construction. Remplaçant les murs du bâtiment abritant une entreprise, elles encerclent les femmes et les hommes y travaillant de flux d’informations permanents. Tel a été, entre autres firmes au nom fleurant la start-up carnassière, le cas de « Clearance Inc. ». Cette même firme dans laquelle on retrouve un jour « les corps du directeur général et de ses associés dispersés dans les couloirs et les atriums, les membres éparpillés çà et là ». L’équipe dirigeante a-t-elle été victime d’une « mutinerie » ourdie par des employés rendus ivres de violence par cette nouvelle forme d’open-space ? Ou bien la résine dont sont faites ces vitrines, dotée à la grande surprise de ses concepteurs d’une capacité de reproduction propre, a-t-elle joué quelque rôle dans cette frénésie homicide ? À moins que Robert n’ait quelque responsabilité dans le massacre, lui dont le jeune fils Tom affiche un goût inquiétant pour la brutalité la plus hardcore ?

Serge Ribero laisse in fine ses lecteurs et lectrices libres de décider à qui (ou à quoi) incombe le triple meurtre de la Clearance Inc. Clairières n’a en effet que fort peu à voir avec un récit d’enquête science-fictionnelle. À peine ébauchée, l’orientation policière tourne très vite court, se diluant dans une science-fiction à peine plus assumée. L’idée de cette résine imitant un être vivant, matériau de ces vitrines incarnant littéralement les flux économiques, est pourtant riche en potentialités narratives. Mais celles-ci se noient dans l’évocation de l’intériorité de Robert, bien évidemment mise à mal par les dommages « collatéraux » de son travail. Retranscrites par une écriture non dénuée d’une certaine élégance, mais aussi trop souvent oraculaire ou théorique, les affres de Robert peinent à faire un roman. Et l’on a trop souvent l’impression d’avoir entre les mains, avec Clairières, le (long) texte d’accompagnement de quelque installation d’art contemporain…

Arnaud LAIMÉ

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