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Les critiques de Bifrost

Clameurs – Portraits voltés

Clameurs – Portraits voltés

Richard COMBALLOT, Alain DAMASIO, Jacques BARBÉRI, Stéphane BEAUVERGER, Léo HENRY, Sabrina CALVO, Emmanuel JOUANNE, Philippe CURVAL
LA VOLTE
424pp - 18,00 €

Bifrost n° 78

Critique parue en avril 2015 dans Bifrost n° 78

Ce n’est pas aux lecteurs habituels de Bifrost qu’on apprendra que Richard Comballot s’est fait une spécialité des entretiens-fleuves auxquels les auteurs réchappent exténués (ils ne savent pas encore que la relecture de la retranscription de l’entretien prendra autant de temps que celui-ci). Après Voix du futur en 2010 aux Moutons électriques, c’est au tour de la Volte de nous proposer un volume de ces confidences d’écrivains. Avec une particularité : Clameurs - Portraits voltés est totalement consacré aux auteurs maison afin de fêter comme il se doit les dix ans d’existence de la Volte. A tout seigneur tout honneur, puisque c’est Alain Damasio qui ouvre le bal, expliquant qu’il voit la littérature comme un combat qui doit en permanence viser à changer le lecteur. L’énergie dégagée au long de ces quatre-vingt (!) pages est impressionnante. Viennent ensuite Stéphane Beauverger, qui explore les liens entre l’écriture de romans et celle de jeux vidéo, industrie dans laquelle il a fait ses premières armes ; Jacques Barbéri et son expérimentation permanente, des écritures collectives (Limite) à la musique (jazz) en passant par ses tentatives dans le milieu de l’audiovisuel ; Emmanuel Jouanne, ses envies de liberté, sa conception de la SF comme « littérature absolue », son rapport au style ; Philippe Curval, qui joue le rôle du père fondateur de la SF française au travers d’une retranscription qui sonne davantage comme une autobiographie très écrite ; David Calvo, son travail dans le jeu vidéo (lui aussi), son amour des trucs déglingos et sa volonté de se repenser entièrement comme auteur en plein milieu de sa carrière ; et enfin Léo Henry, sa fascination pour les jeux littéraires et les « écrivains pour écrivains », et sa fructueuse collaboration avec le regretté Jacques Mucchielli.

Ces entretiens s’avèrent passionnants, grâce avant tout au travail de fourmi du maître de cérémonie : on sent que Richard Comballot a énormément bossé en amont, analysant les livres de l’interviewé et ses déclarations passées. Après quoi, selon un canevas assez reproductible, il pose d’abord des questions biographiques, notamment sur la jeunesse de son sujet, avant d’aborder titre à titre les œuvres publiées, puis en encourageant l’écrivain à faire la synthèse des thématiques qui traversent sa carrière et, enfin, évoquer le futur et les projets envisagés.

Si chaque entretien a un intérêt évident à titre individuel, la juxtaposition des différentes retranscriptions est également riche de sens, car elle permet au lecteur de comparer les rapports différents qu’entretiennent les auteurs à la littérature en général et à leur propre œuvre en particulier : il y a les instinctifs, les cérébraux, ceux qui se sentent le devoir de faire progresser leur lectorat, ceux qui écrivent avant tout pour eux-mêmes… Le lecteur pourra également s’amuser à trouver des points communs entre plusieurs écrivains, comme par exemple leur amour de la littérature de genre (s’ils écrivent tous de la science-fiction, ce n’est pas innocent), leur rapport à la solitude, leur refus de l’enracinement, une exigence formelle assez forte…

Trois de ces entretiens (Damasio, Beauverger, Calvo) sont inédits ; non limités par les contingences de la publication en revue, ils sont globalement plus longs et permettent d’aborder davantage en profondeur la biographie et la manière de fonctionner de leurs auteurs. A ce titre, on regrettera la relative brièveté de l’interview d’Emmanuel Jouanne, qu’on devine guère enclin à s’étendre sur son œuvre et sa vie, et qui, de fait, pâlit un peu de la comparaison avec ses confrères, alors que ses livres laissent présager davantage de matière quant aux considérations personnelles.

Enfin, de par le mélange de grand ancien (Curval), d’auteurs ayant débuté dans les années 80 (Barbéri, Jouanne) et d’autres ayant une carrière d’une quinzaine d’années au maximum (Damasio, Beauverger, Calvo, Henry) s’esquisse au fil des pages le profil d’un genre au cours des dernières décennies, entre la créativité exacerbée du début, la montée en maturité dans le fond comme dans la forme, la récession des années 90 et le renouveau des années 2000…

Au final, Clameurs - Portraits voltés propose une plongée particulièrement immersive dans l’œuvre et la vie de sept auteurs de la Volte, plongée qui finit par dresser en creux le panorama de la SF en France au cours des cinquante dernières années, champ en perpétuel mouvement dans lequel chacun de ces auteurs a sa place.

Bruno PARA

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