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Les critiques de Bifrost

Coeur d'Argent

Coeur d'Argent

Michael MOORCOCK, Storm CONSTANTINE
FLEUVE NOIR
348pp - 19,27 €

Bifrost n° 39

Critique parue en juillet 2005 dans Bifrost n° 39

Karadur/Schriltasi. Une ville enclavée dans les glaces au centre du multivers et son double magique et souterrain… Les clans du métal dirigent Karadur selon un dogme aussi rigide que la fonte. Cela dure depuis les temps immémoriaux de la guerre des clans à la suite de laquelle la magie a été bannie de Karadur… Mais les temps changent…

Karadur est menacée par la corruption, la rouille… En un mot très moorcockien : l'entropie. Le passé pèse de tout son poids sur les étais qui soutiennent la cité… Sous l'empire du dogme rigide qui régit Karadur, la pression entropique s'est accrue et le point de rupture est proche. La ville est une cocotte-minute prête à exploser, mais, pour ouvrir la soupape, il faudrait transgresser les sacro-saintes traditions… Retrouver le chemin de Shriltasi, la cité magique…

Max Peau d'Argent, qui par magie a reçu un menaçant cœur d'argent, s'apparente par là aux héros moorcockiens que sont Elric, Corum ou Hawkmoon. Ce voleur d'excellence joue également le rôle d'agent du chaos se chargeant de réintroduire un brin de fantaisie là où elle fait si cruellement défaut. À l'instar d'Elric, il conjure l'entropie sans pour autant vouer le monde au chaos. Il restaure l'harmonie, rééquilibre les plateaux de la balance selon la métaphore moorcockienne.

Cœur d'Argent est ainsi le stéréotype même du roman moorcockien quant à sa thématique. L'intrigue, elle, se résume à une pitoyable collection de breloques magiques, qui, appariées par trois, constituent un hibou, une lionne et un dragon. Inutile de préserver une fin plus que convenue : Max ayant réussi le grand chelem de colifichets, Karadur retrouvera l'harmonie et la magie droit de cité ; Max échappera même au sort tragique constitutif du héros.

Cœur d'Argent vient allonger la liste déjà bien fournie des ouvrages alimentaires de Michael Moorcock. Il n'apporte strictement rien à la thématique, et Storm Constantine ne semble pas devoir apporter davantage. Nous voilà donc avec une incarnation de plus de l'Eternel Champion. Un livre qui n'a rien pour séduire les amateurs du Moorcock les plus ambitieux mais comblera ceux qui ont apprécié La Fille de la voleuse de rêves ou qui piaffent d'impatience dans l'attente d'un nouvel Elric ; il a également tout pour séduire les nombreux amateurs de récits de quête et de hache qui font les choux gras d'un éditeur tel que Bragelonne. On y tire joyeusement l'épée dans les égouts, on y cambriole des chambres fortes gardées par des dragons, et il suffit d'y brandir une patte de lapin — pardon, de lionne — pour que les méchants petits lutins se compissent… Ce n'est pas noir, ce n'est pas trop violent, ni gothique, ni steampunk, ni drôle… Mais, peut-être faites-vous partie de cette immense majorité des gens qui ignorent encore tout des thèmes chers à Moorcock ? Auquel cas ce roman peut y servir d'introduction.

Jean-Pierre LION

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