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Les critiques de Bifrost

Colonies

Colonies

Laurent GENEFORT
LE BÉLIAL'
352pp - 20,00 €

Bifrost n° 95

Critique parue en juillet 2019 dans Bifrost n° 95

Comme le dit Laurent Genefort dans sa « postface savanturière », l’unité thématique de ce recueil est née du premier titre envisagé pour son roman Lum’en, à savoir Colonie. Rajoutez un « s » final et vous obtiendrez la quintessence de l’œuvre genefortienne : dans cet univers de la Panstructure, que l’auteur parcourt livre après livre, les différentes races qui le peuplent essaiment et colonisent les mondes les uns après les autres. Ses textes courts — comme nombre de ses romans, du reste — doivent alors s’envisager comme des instantanés du processus de colonisation, à court terme (la découverte d’une planète parfois hostile), à moyen terme (on y reproduit le mode de vie de son monde d’origine, ou au contraire on le rejette en bloc et on s’adapte à son nouvel environnement), ou à long terme (parfois les origines de l’expansion sont oubliées, parfois la greffe ne fonctionne pas et la colonie est abandonnée), thématiques qu’abordent ici les dix textes de ce recueil. Qui se répartissent en deux catégories, en fonction de leur décor planétaire ou spatial ; on notera que la première correspond essentiellement à des textes inédits (seul « Le Lot n° 97 » ne l’est pas, mais sa publication est très certainement passée inaperçue dans le milieu SF), alors que la seconde contient uniquement des rééditions (même si souvent revues et révisées).

Ceux qui imaginent que le space opera se résume à des histoires de batailles dans l’espace, ou des problèmes de survie dans des vaisseaux arches, risquent d’être surpris par le premier texte, « Le Lot n° 97 », très intimiste, où un homme tente la transformation ultime pour le plaisir de l’expérimentation et l’amour de l’art. « Le Dernier salinkar » est un très beau texte poignant sur la cruauté du colonisateur, parfois intéressée, mais aussi parfois totalement gratuite. « Le Bris », que l’on imagine inspiré par Solaris, de Stanislas Lem, est le récit d’une quête, sans doute vaine, mais tellement pleine de sens pour celui qui l’accomplit. Dans « Je me souviens d’Opulence », Genefort dresse par touches minuscules le récit de la conquête d’une planète ; oulipien dans sa forme, il s’en dégage une poésie certaine. Enfin, « Le Jardin aux mélodies » clôt en beauté cette première partie, très poétique, en s’attachant davantage au matériau humain qu’aux péripéties traditionnelles du space opera, même si elle contient son lot d’images puissamment évocatrices.

La seconde partie s’ouvre par « Longue vie » où, pour combattre l’oisiveté d’une vie dans des stations spatiales isolées, les protagonistes imaginent un jeu dont le but est d’éliminer les autres. « T’ien-Keou » s’inspire des traditions chinoises avec dragons modernes, dans un récit d’une cruauté rare et sophistiquée, mais qui montre qu’il est parfois utile, pour apprivoiser l’inconnu, de reproduire des schémas de pensée issus du passé millénaire. « La Fin de l’hiver » emprunte le motif de la quête, celle qui interroge le mécanisme de l’expansion humaine, dont les objectifs se sont parfois perdus dans la mémoire collective. « Proche-Horizon » est un récit d’espionnage sur fond de symbiose entre hommes et extraterrestres. Enfin, « L’Homme qui n’existait plus », jadis paru en Fleuve Noir « Anticipation », est une longue novella aux allures de thriller spatial qui fait du décor un personnage à part entière. Ces cinq textes de colonies spatiales sont beaucoup plus rythmés que ceux de la première partie, agissant en parfait contrepoint, retrouvant la vigueur des récits d’aventures des pulps, sans pour autant renier ce qui faisait en partie la force des cinq premières nouvelles : l’être humain, si minuscule au regard des dimensions de l’univers, si baigné de contradictions, mais animé d’une telle force vitale qu’il parvient à dépasser son statut de simple mortel.

Admirablement construit, présentant des récits s’étendant sur plus de vingt ans d’écriture, Colonies est un très beau recueil de nouvelles, qui prouve une fois de plus combien Laurent Genefort est devenu incontournable dans le paysage de la SF française.

Bruno PARA

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