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Les critiques de Bifrost

Connexions

Michael F. FLYNN
LE BÉLIAL'
128pp - 10,90 €

Critique parue en avril 2023 dans Bifrost n° 110

De Michael F. Flynn, on a pu lire Eifel­heim voici quelques années, ultime chef-d’œuvre et chant du cy­gne d’une prestigieuse collection qui n’en avait pas été avare jusque alors – oui, on parle bien d’« Ailleurs & demain ». Flynn, déjà, y renouvelait de A à Z l’un des ponts aux ânes de la SF : la venue des extraterres­tres. Il entreprend à nouveau ici de redorer quelques vieilles lunes de notre genre favori qui semble en avoir bien besoin.

Nonobstant sa longueur et sa publication bien postérieure, Connexions aurait pu figurer dans pas moins de six volumes de « La Grande Anthologie de la Science-Fiction ». Le récit s’articule autour de six personnages (plus un deus ex machina) dont chacun représente un thème. La première partie, intitulée « Orphelins du temps », nous présente Stacey Papan­dréou qui vivait déjà sous l’em­pire byzantin et illustre Histoires d’immortels. À cette époque, elle a croisé une première fois Siddhar Nagkmur, voyageur du temps venu d’une ligne temporelle alternative dominée par la Chine qu’il a malencontreusement effacée et voudrait restaurer. Typique des Histoires de Voyages dans le Temps. Ensuite, on va rencontrer des « Orphelins de l’espace ». Jim7 est un marchetête, extraterrestre muni de cinq pattes et éclaireur naufragé d’une flotte d’invasion. Il aimerait beaucoup pouvoir annoncer aux siens la découverte de l’Eldorado. Quant au lieutenant-colonel Bruno Zendahl, il appartient… Bon, n’en disons pas trop, mais sachez que l’un et l’autre illustrent les Histoires d’ex­traterrestres et d’Envahisseurs. Mais on a aussi des « Orphelins de l’esprit ». Anne Troy, qui travaille dans le traitement de données pour le Pentagone et s’avère être… autre chose (on vous laisse découvrir à quelle Histoires elle pourrait appartenir). Et, pour finir, Janet Murchison, qui est télépathe (ce qui fait aussi de Connexions une Histoires Parapsychiques). Nul doute, c’est par esthé­tique que Flynn choisit de nouer six thèmes classiques de la SF.

Ce n’est pas par hasard non plus, surtout pas, que ce récit s’intitule Connexions (Nexus, en VO), car tous ces personnages sont reliés par les contingences. Dans l’argument qui ouvre le texte, Flynn explique par l’exemple ce qu’il en est. « Le hasard n’est pas une cause. » (p. 12) « Causalité et prévisibilité (je préfèrerais le terme de prédictibilité) sont deux choses différen­tes. » Il n’y a pas de raison à ce que le marteau défonce le crâne du passant, juste des causes sur lesquelles on ne se serait jamais interrogé si la chute du marteau avait eu lieu ailleurs. Michael F. Flynn en rajoute une bonne cou­che en nouant non pas deux, mais six lignes causales en un bien joli nœud gordien qu’on ne tranchera pas. Connexions illustre le fait qu’il ne faut point chercher de lien entre les diver­ses causes d’un événement en dehors de l’événement lui-même. Chose que quiconque a touché à l’accidentologie connait bien. Flynn ne s’attaque pas ici aux croyances bizarres d’un nombre croissant de ces concitoyens, du moins pas au premier degré. Ce qui l’intéresse est une déficience dans la pensée contemporaine qui tend à fonctionner sur des postulats de prédictibilités acausales, comme s’il était possible de prédire un événement en dehors de l’enchaînement des causes et des effets. La statistique ne permet pas de prédire un événement. Ainsi, si vous buvez, vous accroissez vos chances d’avoir un ac­cident. C’est tout ce que disent les statistiques, pas que vous aurez un accident tel jour à telle heure à tel endroit. Les événements surviennent à la congruence de contingences. Le piéton passe quand tombe le marteau mais le piéton n’est pas passé parce que le marteau tombait – ni le marteau tombé parce que passait le piéton : on parle ici d’ac­cident, non de crime. L’accidentologue n’est pas un astrologue. Il construit l’arborescence causale et prend les mesures afin que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets : on va donner une ceinture d’outils au couvreur et détourner les piétons sur le trottoir d’en face. Et, comme dit l’auteur, rien ne sert de détourner le piéton à New York si le marteau tombe à Iakoutsk.

Le hasard n’est pas une cause, mais le produit imprédictible de la causalité. L’auteur s’évertue à montrer les chaînes causales d’un événement, qui, sans cela, apparaîtrait des plus rocambolesque et improbable jusqu’à l’incroyable à moins d’avoir recours, comme c’est si souvent le cas en fantasy, à un présage. Connexions, c’est descendre l’arbre des causes là où les Sherlock Holmes ou Miss Marple s’évertuent à le remonter. Flynn montre comment les événements ont été in­duits. Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous, disait Paul Éluard.

L’intrigue de Connexions apparaîtrait par­ticulièrement capilotractée sans sa dimension spéculative qui en fait l’un des meilleurs textes de SF récents. Ni plus ni moins.

Jean-Pierre LION

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