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Les critiques de Bifrost

Conquest

Nina ALLAN
TRISTRAM
23,90 €

Critique parue en janvier 2024 dans Bifrost n° 113

Sur un mode n’étant pas sans évoquer l’excellent La Fracture (cf. Bifrost n°96), Nina Allan nous convie en territoire incertain, celui où la carte n’est définitivement pas le territoire, où la réinformation règne en maître pour saper la réalité consensuelle en mêlant le mensonge à la vérité, sans aucune des précautions prônées par la science et la raison. Épousant les points de vue de plusieurs personnages, elle déroule une intrigue dont les échos familiers nous renvoient à l’ordinaire de la complosphère et des adeptes de la post-vérité. Dans Conquest, tout est ainsi présenté comme vrai, y compris la novella « La Tour » de l’écrivain John C. Sylvester, enchâssée dans l’intrigue au point de faire continuum avec l’obsession de Frank, le petit ami de Rachel, dont la passion pour les Variations Goldberg et la programmation informatique n’a d’égale que sa crainte d’une invasion extraterrestre. Ils sont d’ailleurs déjà présents sur Terre, agissant dans l’ombre avec la complicité des gouvernements et de leurs n-men. La pandémie du covid-19 fait partie de leur stratégie. Frank en est convaincu. Il l’a découvert dans « La Tour », ouvrage prémonitoire de la guerre à venir dont on lui a suggéré la lecture sur le forum qu’il suit régulièrement. Mais il ne peut plus en discuter avec Rachel, car il a disparu lors d’un voyage à Paris. Inquiète, son amie engage Robin, une ex-flic traumatisée par son passé, histoire de voir si la vérité n’est effectivement pas ailleurs.

Le lecteur le constate rapidement, si l’enquête sert d’argument de départ, le roman de Nina Allan ne se contente pas de jouer avec les ressorts du thriller. Bien au contraire, l’autrice déroule une intrigue piégeuse où chaque personnage dévoile son intimité, mais également sa Weltanschau­ung, cherchant à comprendre et à relier à tout prix des faits sans rapport afin de contraindre la réalité à correspondre à ses représentations. Au fil d’une in­vestigation jalonnée de référence à la science-fiction et au complotisme, chacun d’entre eux s’efforce à donner un sens à son existence, quitte à plier le consensus sociétal à sa convenance. Nina Allan met ainsi en scène les mécanismes et les biais cognitifs qui président aux interprétations faussées, sans jamais chercher à dénoncer lourdement ce processus dont les réseaux sociaux et l’Internet amplifient l’audience. Entre les rumeurs virales et le flot brut de l’information en continu, difficile en effet de résister sans perdre sa boussole logique car, comme le montre l’autrice, notre en­thousiasme secret pour les con­naissances ésotériques et le drame occulte est vieux comme le monde. Il se nourrit de notre besoin de mythologie, de notre dégoût du statu quo, de la conviction fanatique et parfois violente qu’une vie meilleure serait possible.

Jusqu’au dénouement, Conquest se mon­tre un roman brillant et intelligent qui nous interroge sur notre capacité à croire ou à ne pas croire. À ne pas rater.

Laurent LELEU

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