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Les critiques de Bifrost

Contes inoxydables

Contes inoxydables

Stanislas LEM
DENOËL
224pp - 6,05 €

Bifrost n° 104

Critique parue en octobre 2021 dans Bifrost n° 104

Le titre polonais est sans doute plus transparent que le français : Bajki robotów, « contes de robots ». En effet, le « inoxydable » du titre français, s’il joue sur le double sens du matériau et de la résistance au temps, concerne bien les protagonistes principaux de ces contes : qu’ils soient électribuns, happelopins ou astruands, ces robots ont créé une société autonome qui se passe très bien de l’être humain. Celui-ci n’a pas complètement disparu, il intervient même très ponctuellement, mais le surnom que lui donnent les robots, les « blêmards », montre bien tout le mépris que les êtres inoxydables lui vouent. Il faut dire que les robots de Lem ont des pouvoirs que ne pourront jamais posséder les humains : ils maîtrisent l’électricité, qui leur ouvre un éventail d’inventions et de technologies invraisemblables, mais cela va encore plus loin : ils sont capables de forger des planètes, des étoiles, des galaxies… bref, de jouer au démiurge, parfois inspiré, parfois un peu bricoleur sans conscience. Et leurs faits s’apparentent bien souvent à de la magie. Ce qui nous ramène à l’autre élément du titre, la notion de conte. Les récits ici réunis adoptent ainsi tous cette forme, avec la portée philosophique qu’on lui connaît ; car, tout robots qu’ils soient, les personnages reproduisent le comportement et les modes de pensée des hommes, avec une propension évidente au despotisme, à la ruse, la trahison, bref à tout un tas de penchants obscurs que Lem, avec sa misanthropie et un ton sarcastique que lui permet ce double décalage, décortique avec gourmandise et beaucoup d’humour pour dresser un tableau peu flatteur des travers de l’âme humaine. Pourtant, l’utopie est parfois à portée de main pince : si tous les éléments sont à disposition pour construire une société idéale durable, il y a toujours un caillou dans l’engrenage.

On ressort ainsi de ces Contes inoxydables avec l’impression d’avoir lu quelque chose de profondément original, issu du contraste entre des contes à la Grimm ou à la Perrault et des protagonistes robots aux facultés quasiment divines et hautement technologiques, frappé du ton iconoclaste de Lem. On conseillera néanmoins de lire sans précipitation, pour d’une part éviter les redites (tous les contes étant en effet construits sur le même principe, même si les éléments de l’intrigue diffèrent), d’autre part laisser le temps de mieux percevoir leur portée universelle, qui reste valable près de soixante ans après la parution originelle du recueil. En un mot : inoxydable.

Bruno PARA

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