Charlotte BOUSQUET, Xavier BRUCE, David BRY, Thomas DAY, Stéphane BEAUVERGER, Sylvie LAINÉ, Timothée REY, Lionel DAVOUST, Laurent QUEYSSI
ACTUSF
Parce qu’elle est offerte, excellente stratégie qui permet de ne pas payer pour être heureux, l’anthologie Contre-point autorise de parler gratuitement des auteurs. Ne loupons pas cette occasion en dressant le constat suivant : Colin Marchika en son temps, et Laurent Gidon il y a peu, n’ont eu besoin de personne d’autres qu’eux-mêmes pour se torpiller. Le premier par défaut de sociabilité qui a conduit à un suicide éditorial ; le second par excès d’autopromotion qui a engendré la lassitude, curieux rapport au public pour un homme qui vit de la publicité. Cette observation pourrait sembler vaine si elle ne portait sur deux éléments au cœur même de cette anthologie : le rapport de l’écrivain aux aléas de la vie (ce que signifie précisément le mot heur, décliné en « bon » ou « mal »), et l’engagement de Gidon comme maître d’œuvre du recueil.
C’est donc en préfacier qu’il s’exprime. En soi, le projet est incontestablement séducteur : une liberté thématique assortie toutefois d’une contrainte : « raconter une histoire en évitant les ressorts narratifs de l’affrontement, de la compétition, du combat ou de la fuite devant une menace ». Comme souvent chez Gidon, la forme est variable, alternant les jeux agaçants sur les mots (tout le début), l’expression claire et étayée (paragraphe 5), et l’usage de clichés éculés, ici « Bisounours », que Thomas Day lui renvoie d’ailleurs en pleine face dès la première ligne de sa nouvelle. Rare exemple de totale empathie entre un écrivain et son directeur d’ouvrage. Reste que l’intention intrigue et invite à découvrir les textes.
« L’Amour devant la mer en cage » ouvre le bal, occasion d’affirmer à nouveau que Timothée Rey est un authentique styliste. Mais parce qu’il est probablement le seul écrivain français adepte du grand dieu Pan, sa contribution pourra sembler oraculaire. Belle première impression, au sens littéral, qui n’appelle aucune réflexion du lecteur, déni intentionnel de raison.
Suit David Bry et « Le Chercheur de vent », récit qui tient autant du rite initiatique que de la sélection naturelle. Très agréable nouvelle dont l’écriture fluide et légère sert parfaitement le propos.
« Petits arrangements intra-galactiques » nous permet de retrouver Sylvie Lainé adéquate à elle-même, à savoir dans l’exercice de son plein talent décliné ici en deux manières : sa façon personnelle et le pastiche d’entrée revendiqué de Robert Sheckley. La contrainte est respectée quand bien même le bonheur, ou l’absence de malheur, n’est pas le fait de l’humain.
Avec « Nuit de visitation », Lionel Davoust réussit un tour de force : proposer un texte d’Eugène Dabit si l’auteur d’Hôtel du Nord avait écrit de la science-fiction. Des prénoms aux références, rien n’est laissé au hasard, un petit bijou de fiction française, ce prédicat n’étant pas accidentel mais valant pour choix.
Quoiqu’en adéquation avec ses préoccupations personnelles, « Tammy tout le temps » de Laurent Queyssi souffre d’un déséquilibre. Au vu des maux remémorés, la délivrance paraît rapide : chacun sait que le malheur a sur le bonheur l’avantage de durer.
« Avril » de Charlotte Bousquet est servi par une écriture impeccable en dépit d’une malheureuse répétition à la toute fin. L’essence féminine départie de ses attributs se scinde puis se recompose, au fil d’une narration dont la candeur ne peut être que sincère.
Avec « Permafrost », Stéphane Beauverger propose la version digest et empesée de La Horde du contrevent. Le texte parle de clan, l’auteur réaffirme son appartenance à sa tribu la Volte (éditeur bien connu par ici), tout cela est cohérent mais n’a d’intérêt que si l’on fait du référentiel une fin en soi.
« Mission océane » de Xavier Bruce repose sur un postulat intéressant : la découverte dans l’étable du père Gayout d’une entité radicalement étrangère, propre à transformer l’appréhension du réel chez un soldat. Toutefois le style, sans être catastrophique, connaît de nombreux défauts. Un texte qui s’oublie aussitôt lu.
Hélas pour moi, le texte de Thomas Day est bon. J’aurais préféré le descendre, dans une molle et peu sincère tentative démagogique visant à reconstituer mon capital Sympathie auprès des contempteurs des Razzies. Pouvais-je sacrifier la vérité à la mauvaise foi ? J’y ai songé. Seulement « Une semaine utopique » est une telle réussite dans l’exercice incertain de l’autodérision (et une authentique punition intime que s’inflige l’auteur), que l’on rit franchement. En se laissant séduire par l’écriture, encore et toujours de haute volée : les pages 121 et 122 sont de la pure poésie orale beat que l’on rêve d’entendre marteler par l’auteur.
Au final, Contrepoint offre un moment agréable de lecture, sa valeur artistique dépasse sans peine sa valeur financière. On retiendra les textes de Bry, Lainé, et Bousquet pour le traitement et l’adéquation au thème, ceux de Rey et Davoust pour l’angle d’attaque, enfin celui de Day pour offrir l’unique contrepoint, ô combien pertinent. Reste que l’on peut regretter que la belle intention initiale ne soit ici qu’effleurée, qu’à l’image de Georges Duhamel dans son Journal de Salavin (1927), nul ne se soit demandé pourquoi le malheur ne rend pas forcément malheureux, pourquoi le bonheur ne garantit pas d’être heureux.