Marcel Theroux est un homme de télévision et un romancier britannique. Sur ses cinq romans publiés, trois ont été traduits : Jeu de pistes (qui parle d’un roman inédit sur Mycroft Holmes), Au nord du monde (qui lorgnait du côté du post-apo’ et de Stalker), et donc Corps variables dont il est question ici.
L’histoire commence alors qu’un homme prétend s’appeler Nicholas Slopen. Or, ledit Slopen est mort dans un accident de la route quelques mois auparavant. L’inconnu agresse la femme de Slopen : il est arrêté et envoyé dans un hôpital psychiatrique (celui qui a succédé au célèbre Bedlam). Quelle est donc l’identité réelle de cet homme ? S’il n’est pas Slopen, comment peut-il connaître autant de détails intimes sur la vie de ce dernier ?
Le roman prend la forme de la confession de l’inconnu ; il y raconte la succession d’événements qui ont conduit à la situation présente. Tout a commencé lorsque Nicholas Slopen, le vrai, un érudit, a été commissionné pour authentifier des lettres de Samuel Johnson, le célèbre écrivain britannique. Il s’aperçoit bientôt qu’il s’agit de faux ayant en réalité été écrits par un homme, Jack Telauga, lequel n’a visiblement plus toute sa tête…
Difficile de parler davantage de ce roman sans trop en dire, et par là même dévoiler la subtile alchimie qui en fait une franche réussite. Marcel Theroux s’amuse à semer le lecteur, lui proposant tout d’abord un début de roman policier avant de bifurquer vers le Pérez-Reverte du Club Dumas, alors que son propos, comme on va le voir plus tard, est tout autre et lorgne du côté des savants fous. Le lecteur ne sait jamais où Theroux va l’emmener, et cette indétermination fait tout le sel de l’ouvrage. Pourtant, tous les élément sont été distillés par l’auteur, il nous appartient de les relier. Le lecteur habitué aux ouvrages de SF ne mettra pas très longtemps à comprendre le fin mot de l’histoire ; l’intérêt de Theroux n’est d'ailleurs pas dans la description du processus. Il ne s’embarrasse aucunement de descriptions scientifiques plausibles, quand bien même un substrat informatique imprègne tout le roman, préférant se concentrer sur les conséquences des expérimentations décrites ici. Roman d’une érudition impressionnante (nombre de théoriciens, d’écrivains, de scientifiques sont convoqués), Corps variables s’intéresse alors à ce qui fait l’identité d’une personne, son existence, sa mémoire : que se passerait-il si les souvenirs qu’on croit avoir n’ont pas tous été personnellement vécus ? Theroux apporte des éléments de réponse tantôt ludiques (chacun, dans ces pages, tente en effet de cacher sa réelle personnalité, qu’il appartient donc au lecteur de découvrir), tantôt inquiétants (car on ne manipule pas impunément le cerveau), mais toujours intéressants en diable et propices à la réflexion.
Livre d’une grande finesse psychologique, abordant une thématique somme toute assez classique, mais avec une classe folle, Corps variables s’impose comme un récit à même de combler le plus exigeant des publics par ses digressions philosophiques et scientifiques, sans pour autant rebuter le lecteur occasionnel tant sa thématique est universelle. Un roman qui, après Au nord du monde, achève d’installer Marcel Theroux parmi les auteurs les plus passionnants du moment.