Gloria BARBERI, Poppy Z. BRITE, Pat CADIGAN, Carol Ann DAVIS, Sylvie DENIS, Sara DOKE, Anne DUGUËL, Jeanne FAIVRE D'ARCIER, Barbara GARLASCHELLI, Kathe KOJA, Tanith LEE, Birgit RABISCH, Valérie SIMON, Nicoletta VALLORANI, Sabine WEDEMEYER-SCHWIERSCH,
J'AI LU
360pp - 12,04 €
Critique parue en mai 2000 dans Bifrost n° 18
La particularité de cette anthologie est de ne réunir que des textes féminins sur le thème de l'amour et de la sexualité. Les traductions sont également le fait de femmes (Sylvie Denis pour l'anglais, Fabiola Mancinelli pour l'italien et Claire Duval pour l'allemand). Ces dix-sept nouvelles de science-fiction, de fantastique et de fantasy, sont remarquables dans leur diversité et leur richesse (et, aussi, dans leur inégalité qualitative...), abordant l'ensemble des thèmes liés aux propos.
Quoi de commun entre l'extrême violence de « La Nuit de la Saint Valentin » de Gloria Barberi, où l'on se déchire dans un bain de sang, et la poésie tragique de Sabine Wedermeyer-Schwiersch (« De La Difficulté de traduire les chants d'amour Vuliworpes »), qui met en scène les amours extraterrestres ? Ce qui pourrait les réunir est la blessure, mentale ou physique, tant il est vrai qu'il n'y a pas d'amour perpétuellement radieux (ni d'histoire, d'ailleurs).
Le machisme, s'il est encore dénoncé, notamment dans le caricatural mais efficace « Prix coûtant » de Carol Ann Davis, où l'homme prend son plaisir dans des salles où les femmes ne présentent qu'une partie de leur anatomie (sexe, fesses, bouche), n'est plus un leitmotiv. Il est certes présent dans le pensionnat carcéral de « À mes filles chéries » de Connie Willis, mais les étudiantes y manifestent cependant des appétits tout à fait en rapport avec leur âge. Mais quand Sylvie Denis aborde dans le très réussi « Carnaval de Lapêtre » le thème grave de l'excision, c'est au travers d'un texte où sensualité et liberté donnent l'image d'une sexualité sans tabou ni contrainte. Outre ses sentiments, la femme affiche aujourd'hui ses désirs. La difficulté d'aimer reste cependant au centre des préoccupations. Dans l'univers déroutant de « Pans en juin » de Pat Cadigan, des êtres qui ne sont pas ce qu'ils semblent être gavent d'informations psychiques les touristes en mal de sensations sans réussir à en saisir la teneur. L'amour est tout aussi difficile à connaître quand on habite la zone, déchet parmi les « Déchets » (Barbara Garlaschelli), ou quand on est différent : Birgit Rabisch imagine la solitude d'une femme cloîtrée, seul enfant naturel dans un monde de clones épris de perfection (« Inversion, jeu de miroir »).
Les textes fantastiques ou de fantasy méritent les mêmes commentaires élogieux. Ils sont signés de grands noms, comme Poppy Z. Brite, Anne Duguël, Jeanne Faivre d'Arcier, Kate Koja, Tanith Lee.
Le hasard de l'alphabet, qui seul présida à l'ordre des textes, permet à Joëlle Wintrebert de conclure sur une très belle nouvelle qui s'impose d'elle-même comme étant celle de la fin. « La Femme est l'avenir de l'homme » est une triste et belle histoire d'amour dans un univers débarrassé des hommes. Parce que Laure, une femme congelée récemment réveillée, ne parvient pas à s'adapter à cette civilisation, on tire pour elle du bain cryogénique un homme qu'elle pourra aimer. Une histoire d'Adam et Ève de la fin des temps, en somme, où le titre du poème d'Aragon prend un sens particulier.
Jean-Marc Ligny a réalisé là une anthologie inégale (n'est-ce pas le lot de toute anthologie ?) mais d'un niveau global fort satisfaisant, qui fait la part belle aux femmes d'une manière bien plus intelligente que les quotas imposés en politique.