Il se passe des événements étranges dans le nouveau roman de Leandro Ávalo Blacha. Rien de nature à susciter l’incrédulité des lecteurs de son précédent titre, mais quand même… Jugez par vous-même.
Pour mémoire, avec Berazachussetts (roman tout juste réédité chez Folio « SF », ceci dit en passant…), l’auteur argentin nous avait conviés à une apocalypse carnavalesque où la satire se partageait la tête d’affiche avec la dinguerie. Côté cour n’apparaît pas moins déviant que ce premier roman prometteur. D’emblée, cette succession de cinq histoires s’apparente à la chronique d’un lotissement pavillonnaire banal aux cours et jardins mitoyens. Un quartier pourtant tombé tout entier sous la coupe d’un opérateur de téléphonie omnipotent et omniscient, poussant sa transcendance jusqu’à accomplir des miracles. Une sorte de Big Brother sans visage dont l’antenne irradie un feu magique rappelant à tous leur allégeance. De fait, ici-bas tout le monde consomme Phonemark. De la naissance à la mort, et même au-delà, tout le monde mange, boit et se distraie Phonemark. Et chacun se doit d’épuiser son quota quotidien de SMS sous peine de finir encagé. Peut-être chez le voisin, dans sa cour ou sa cave.
Bien peu de personnes cherchent à se soustraire au système. En fait, tous y participent, cherchant à tirer profit de ses failles, ou du moins des opportunités qu’il offre. La déraison ou plutôt l’intérêt bien compris semble avoir gagné tous les esprits. Ici, on loue une chambre dont la fenêtre donne sur un jardin d’éden factice. Là-bas, on organise des combats clandestins. Prisonniers consentants, au préalable entraînés, contre chiens rendus enragés, voire chauve-souris. Le spectacle vaut le détour. Il suscite une ferveur populaire dépassant les limites du quartier. Ailleurs, on réduit les têtes humaines pour les greffer sur des poupées, escomptant ainsi reconstituer l’ensemble du voisinage en miniature. Plus loin encore, une histoire d’amour se conclut par un carnage où des grands-mères droguées servent de boucliers humains.
Bref, on le voit, à la lecture des quelques éléments présentés ci-dessus, Leandro Ávalo Blacha ne semble pas s’être assagi. Bien au contraire, Côté cour se révèle un cocktail décalé mélangeant les ressorts du grand-guignol, de la dystopie, du fantastique et des télénovelas. C’est foutraque, amusant, iconoclaste, à l’occasion poétique, et pourtant, on ne peut s’empêcher de trouver tout ce cirque un tantinet répétitif. On n’arrive pas à se dégager d’un sentiment de déjà vu. L’impression d’avoir fait le tour du sujet avec Berazachussetts. La vie, la mort continuent de danser le même tango absurde sur une mélodie qui nous est désormais familière. Une partition écrite avec le meilleur des déviances humaines sur fond de consumérisme. L’air est hélas connu, il perd en conséquence de son impact. Et puis, le roman ressemble davantage à une juxtaposition d’histoires, sans véritable trame pour unir l’ensemble, si ce n’est le quartier où elles se déroulent. On papillonne d’une cour à l’autre, d’un pavillon à l’autre, sans avoir le temps de prendre ses aises. L’horizon d’attente reste maigre et il manque définitivement quelque chose pour vraiment succomber.
Au final, avec ce deuxième titre, Leandro Ávalo Blacha douche quelque peu l’enthousiasme suscité par Berazachussetts. Certes, on jubile toujours de la ferveur avec laquelle l’auteur dynamite la société argentine et fustige l’économie de marché. Mais Côté cour n’est finalement qu’un prolongement plus sombre, dépourvu de ce grain de folie qui faisait toute la saveur de son précédent roman. Dommage.