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Les critiques de Bifrost

Couper les ponts

Christophe LANGLOIS
L'ARBRE VENGEUR
292pp - 17,50 €

Critique parue en avril 2024 dans Bifrost n° 114

Voilà bien longtemps que nous n’avions plus eu de nouvelles de Christophe Langlois, aussi est-ce un grand bonheur que de le retrouver. Bien sûr, il n’avait pas quitté le champ littéraire mais, préférant l’appel de la poésie, notre auteur avait quelque peu délaissé les rives de l’Imaginaire, qu’il aborda avec grand succès en 2011 (Boire la tasse, Grand Prix de l’Imaginaire) et 2014 (Finir en beauté). Il est de retour avec Couper les ponts, nouveau recueil de quatorze nouvelles, où son goût de l’absurde et des trouvailles fait une nouvelle fois merveille : toutes les actrices de renommée mondiale, lassées de la célébrité, investissent un village du Luberon où elles peuvent enfin vivre en toute quiétude ; un banquier décide de retrouver le mode de vie du xviiie siècle ; un homme, capable de faire (re)pousser la nature partout où il le souhaite, décide de s’isoler, choqué par le pouvoir phénoménal qui l’a investi et les attentes invraisemblables qui en découlent ; dans un monde où il est possible de pénétrer dans les tableaux, un couple décide d’aller à un vernissage d’un genre particulier… Chez Langlois, tout part visiblement d’une idée loufoque, étonnante, voire inquiétante ; il en tire ensuite au choix une vignette, une tranche de vie drolatique ou dramatique, ou un texte plus structuré, avec un début, un développement et une fin. C’est cette liberté de traitement, entre nouvelle à chute et réflexion permanente sur la place que tient l’homme dans la société, qui fait tout le sel de ce recueil – son unité aussi. Car s’il est bien un point commun entre les différents protagonistes de ces récits (de longueur relativement stable, entre quinze et trente pages), c’est celui rappelé par le titre de l’ensemble : tous vont être amenés à couper les ponts. Certains ne se font pas à ce monde technologique et informatisé, ils ne s’y sentent pas à leur place et vont trouver des expédients pour en sortir ; d’autres y pensent, mais un soubresaut du destin va précipiter les choses. Dès lors, Langlois convoque toute sa palette de peintre des sentiments et des émotions pour composer ses tableaux pointillistes : un peu de drame et d’inquiétante étrangeté, une bonne dose d’humour, un soupçon de spiritualité, beaucoup de malice. Et aussi, bien sûr, comme à chaque fois, un véritable amour de la langue, une façon de ciseler les mots à nulle autre pareille, des phrases dont l’emphase sert admirablement le propos – ainsi, la manière dont il parvient à restituer la fébrilité intime de cette vente aux enchères dans laquelle l’obélisque de la Concorde ou la devise Liberté Égalité Fraternité sont proposés à la vente. Couper les ponts ? Rien d’autre qu’une proposition faite au lecteur de lâcher les amarres, de laisser libre cours à son imagination et de profiter du voyage.

 

Bruno PARA

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