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Les critiques de Bifrost

Couvées de filles

Joëlle WINTREBERT
AU DIABLE VAUVERT
512pp - 23,00 €

Critique parue en avril 2024 dans Bifrost n° 114

Quinze ans après La Créode et autres récits futurs (Le Bélial’), le nouveau recueil de Joëlle Wintrebert nous arrive dans un écrin cette fois bleuté, mais toujours signé Caza : Couvées de filles, qui rassemble seize nouvelles, dont une inédite. Et d’emblée, une affirmation : quel bonheur de retrouver l’écriture incisive et ciselée d’une Joëlle Wintrebert à son meilleur ! Si ce n’est déjà fait, foncez chez votre libraire ! Et à plus forte raison si vous ne connaissez pas encore cette autrice rare et précieuse : voilà une porte d’entrée toute trouvée.

Reprenons : Couvées de filles propose aussi bien des textes de fantastique que de pure science-fiction, composés sur quatre décennies, le plus ancien datant de 1988. On y retrouve de nombreux thèmes chers à l’autrice (féminisme, relations interpersonnelles, écologie, lutte contre les injustices, liberté), et davantage d’idées brillantes qu’il ne compte de récits. Le talent de Joëlle Wintrebert pour jouer avec les émotions de son lecteur, le faire rentrer sans coup férir dans des univers riches de sensations, s’y dévoile dans toute son acuité.

Comme souvent dans son œuvre, les personnages féminins occupent une place de choix. Une place qu’on leur laissera toutefois bien volontiers, tant l’autrice n’hésite pas à les plonger dans des situations scabreuses, voire à les contraindre à des choix pour le moins discutables. « Camélions » (2009), avec son écriture à la première personne, est sans doute l’un des exemples les plus représentatifs. Faire vivre à son lecteur une expérience sensuelle et érotique avec une espèce extraterrestre majestueuse pour, vingt pages plus loin, lui faire admettre un viol collectif comme solution rationnelle pour la survie de l’espèce. Joëlle Wintrebert sait comment secouer et ne s’en prive pas quitte à faire frémir quelques féministes bon teint. « Invasive évasion » (2005) et son retournement de situation en est une autre illustration, aussi mémorable que glaçante – âmes sensibles s’abstenir.

Ce n’est là qu’un aspect de Couvées de filles, qui ne cesse de jouer avec nos émotions. Ces nouvelles sont autant d’hymnes à la liberté d’écrire, à la liberté tout court, où la SF la plus rigoureuse succède au fantastique, où l’on passe de la noirceur à l’angélisme, d’une description crue, voire cruelle, à une envolée poétique, le tout sans jamais rien céder à l’efficacité. C’est aussi, enfin, l’occasion de (re)découvrir un aspect souvent peu connu de l’œuvre de Joëlle Wintrebert, sa capacité à réenchanter des pans de notre histoire (on pense à « Utopia » et à ses mines de charbon, qui parlera particulièrement à tout enfant du Nord). Merci, madame Wintrebert, pour ce magnifique recueil !

Estelle BLANQUET

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