Alex D. JESTAIRE
AU DIABLE VAUVERT
118pp - 9,99 €
Critique parue en avril 2017 dans Bifrost n° 86
Rien à voir avec le titre de Ballard, qui comprend un point d’exclamation dans la version française, excepté peut-être sa dimension catastrophiste développée selon un angle original. Malika est une femme épuisée par les ménages en entreprise, mère isolée d’un Sami confié à la nounou du dernier étage, Mme Habiba. Un burn-out, un accident de la route, un traumatisme crânien, un coma ; voilà Malika transformée en légume, confiée à des centres de soins, des maisons spécialisées puis de retraite, dont le contact avec le monde extérieur passe par l’écran télé qu’elle regarde sans sourciller du soir au matin. S’interposer provoque une crise. Ses documentaires de prédilection concernent les épisodes terroristes, pas le 11 Septembre mais ceux qui lui sont postérieurs. Plongée dans un univers mental clos, le récit, entre flashes éphémères et délires alimentés par le petit écran, déroule une existence précaire dépourvue de sens qui fait écho à la déliquescence d’une société tout aussi creuse, au bord de l’implosion. Les seules échappées de Malika se font à travers la télévision : apparait sur les images d’attentats une femme, toujours la même, tirant une valise à roulettes, séquences qu’extrait pour le spectateur Maître Geek, le hacker qui explore les entrailles du Web afin d’exhiber ces documents oubliés, censurés ou modifiés. L’histoire qui a débuté de nos jours se termine dans un proche avenir, si avenir il y a encore, compte tenu de ce qui passe à l’écran.
L’écriture est sobre, les phases courtes, hachées, comme si la pensée ne pouvait se poursuivre au-delà de quelques mots. Les scènes d’un laconisme glaçant se succèdent, les commentaires se révèlent de toute façon superflus. Seul Maître Geek, en ouverture de récit, injecte son enthousiasme de traqueur de sensationnel, flattant le voyeurisme morbide des connectés. Il est le chef d’orchestre de cette série de cinq titres, à paraître dans l’année, moderne gardien d’une crypte numérique, à l’instar du présentateur des Contes de la crypte, qui exhibera les goules, fantômes et hommes invisibles du monde moderne, à Londres, Bruxelles ou ailleurs.
Exploration catastrophiste d’une Europe en coma dépassé, la comparaison avec la trilogie de béton de Ballard n’est, finalement, pas usurpée. Voici une exploration hallucinée des vacuités contemporaines. C’est bref, brutal, brillant.